DeletedUser331
Guest
Thème : L'existence d'une entité supérieure
Participants : Kissifrott et Decapitor
Arbitre : Gandalflerouge
Taille : Entre 10 000 et 100 000 caractères
Participants : Kissifrott et Decapitor
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Golem
« Un néant vert agité par le vent d'où s'élevaient trois arbres millénaires. Leurs coiffes enflammés brillaient au soleil de quelques teintes vermeilles. Achille, au sol, torturé, d'une main touchait sa jambe clouée et de la dextre faisait de grands moulinets. Mais le beau Paris, pourchassé par les sarisses, s'en allait, son venin craché. Le feu aux arbres fut donné, mais les troncs ne se séparèrent que d'une enveloppe. Et sous les colonnes renversées, trois esprits à la pierre fusionnèrent. Ainsi, sous les ruines de Troy, une cité prenant pour modèle l'ancienne naquit. »
Soudain le grimoire me pince l'index en se refermant brutalement, je ne bronche pourtant pas. Je retire mon doigt de l'ouvrage et lève les yeux vers l'individu qui ose interrompre ma lecture. C'est un humain, vieux et barbu, au nez crochu qui m'adresse deux ou trois paroles acerbes. Pourquoi ? La différence provoque, semble-t-il, toujours la même réaction chez ces hommes bourrus, dépourvus par l'alcool et la guerre d'un quelconque entendement. Et à chaque fois, il faut que je réponde de façon à leur faire comprendre que je ne suis pas personne contre laquelle il s'entend de ferrailler. Il paraît pourtant que mes efforts les amènent plus nombreux et plus déterminés, comme une invitation à la gloire, celui qui aura vaincu « l'homme de pierre » ; comme ils m'appellent déjà tous ici-bas. C'est peut être là, au fond, tout ce que je souhaite ; il est très bon de se prouver régulièrement que l'on est invincible.
Je saisis discrètement une fourchette et mon petit flacon d'encre. L'ivrogne claironne des insanités, enfle son gosier d'une phénoménale grossièreté. Il fait preuve, à dire vrai, d'une certaine originalité, mais il a ce je-ne-sais-quoi de médiocre assumé qui m'a toujours débecté. Il fait rire ses comparses, et c'est bien peu de mérite : dans l'état où ils se trouvent, une mouche pourra sans trop de peine susciter la même hilarité. Tout d'un coup, il s'emporte. Sans raison apparente, il change d'humeur. C'est bien un stupide humain. Mais tant mieux, j'allais le faire.
Il empoigne la broche de ma cape, mais celle-ci se défait, le laissant figé dans la surprise. Cela assez longtemps pour que j'arrose son visage du liquide bleuté. Aveuglé, il hurle et se tord de douleur. D'un ample crochet, je le met à terre pour lui sauter dessus. Je bloque ses jambes à l'aide des miennes et avant que son poing rencontre ma mâchoire, je plante le couvert à travers sa carotide. La souffrance n'arrête pas son coup, et ses os se brisent sur le mien. Un squelette de roc n'a pas la même valeur que celui d'un simple mortel, il ne peut hélas plus l'observer. Sa plaie l'endort, et son sommeil ne connaîtra pas de réveil.
Je me relève sur le cadavre et découvre que la salle commune s'est métamorphosée. Je n'ai plus affaire à l'apparente et aimable chaleur qui s'en dégageait tout à l'heure. Les bougies ne diffusent plus une douce lumière, mais crient de vifs rayons leur colère. Les sourcils se sont froncés, les bouches crispés, les poings fermés. Je ne compte pas attendre que les rapières soient brandies : je m'empare de ma sacoche, de ma cape étendue au plancher et de « La Naissance des Trois Premiers ». J'ai, autrefois, trop massacré pour, aujourd'hui, commettre à nouveau ces atrocités. Un meurtre suffira à me rendre, pour quelques temps, la vie autrement plus pénible qu'elle l'est déjà maintenant.
Je me retourne pour partir, mais un immense torse, bombé comme celui d'Hercule, bloque le passage. Qu'ai-je dit ? Ne pas tuer plus. J'esquive les deux bras gigantesques qui tentent de m'attraper pour foncer droit sur le mur de briques, tête la première. L'argile explose sous la pression, je m'ouvre une porte royale dans cette médiocre maçonnerie. Tandis que le videur, pris par son élan, s'étale au sol, ébranlant le plancher, l'aubergiste fait dans son pantalon en voyant son mur effondré. Quant à moi, je fuis à toutes jambes en riant.
Trois rues plus tard, et je me réfugie dans l'ombre de deux bâtiments. Me jugeant assez éloigné, je me permis de ressortir le pesant manuscrit. Je le feuillette du pouce, préalablement humecté. La nuit tombe et mes iris s'ouvrent spacieusement, je lirai encore un passage avant de regagner ma « Demeure » pour y conjuguer avec ma si bonne paillasse.
« L'ombre du mal longtemps s'attacha à ses rochers que la vie avait touché, et que la mort ne pouvait atteindre. L'antiquité durant, ils furent considérés comme les fantômes vengeurs de Troy la vaincue, ou pire, comme les exécutants d'Hadès. Aussi, jamais ils ne purent entretenir d'échange avec les mortels, et résolus, ils scellèrent leur Royaume pour l'éternité.
Un printemps toutefois, le Roi se glissa en dehors. Aveuglé en premier lieu par la lumière, les couleurs du monde, il continua de l'être par les loisirs humains. Une soirée le vit ivre avec une putain. Ainsi, sous une lune pleine de dégoût pour ce qu'elle voyait, les Trois Premiers furent confectionnés. »
Un printemps toutefois, le Roi se glissa en dehors. Aveuglé en premier lieu par la lumière, les couleurs du monde, il continua de l'être par les loisirs humains. Une soirée le vit ivre avec une putain. Ainsi, sous une lune pleine de dégoût pour ce qu'elle voyait, les Trois Premiers furent confectionnés. »
Je me réveille le lendemain sous mon pont à côté de mes deux compagnons, deux Bourbons aux passés d'oisons. Leur apparence est autrement plus ostentatoire que la mienne, à savoir ce que peut bien être la mienne. Eux, s'ils ont un raffinement, ils l'ont dans l'immobilité et le juron. Plus que ça, l'urine et la crasse sont le parfum et le maquillage de cette noblesse murinée. Leur panache matinale désole jusqu'au sol-même qui n'accepte pas de les porter si saouls. Je dois être plus que myope pour croire que mon état vaut mieux.
L'alcool fut autrefois l'érosion dans l'âme du Père des Premiers, il soude maintenant mon dernier attachement à cette noire terre. Le breuvage, que dis-je, le nectar, m'emporte parfois dans les quêtes les plus délirantes, comme celle que je vais vivre d'ici deux ou trois instants.
Bouteille à la main, je suis torse nu et je-ne-sais-comment debout. Ma peau grise si laide propre est ici richement, je dirai même démocratiquement, vêtu de la matière fécale de toutes les classes de la ville. Proie à l'onirisme, ma toge de merde va si bien avec le sang de ma dernière victime que j'en ris, si fort que je m'effraie, m'étouffe et finalement me tais : cela vaut mieux. J'ai parlé de démocratie, sans doute de l'ironie. Je sais être prééminent : mon corps indestructible ne périra pas si mon âme irrésistible ne le souhaite pas.
Le jus continue néanmoins de torturer mon cerveau, d'infiltrer mes neurones et d'en noyer l'antique entendement qui y sommeillait. Je m'élance vers la lumière, je m'échappe de l'emprise ténébreuse du pont. J'ai traversé une frontière et je suis maintenant un étranger. Un passant m'aperçoit, il se multiplie tel un microbe. Un autre, ici, là-bas, par-ici, par-là-bas, et ici, et là-bas encore. Leurs regards, terribles tisons, brûlent mon âme. Celle-ci, imbibée, s'embrasent violemment. J'explose.
Je n'ai alors, sans savoir vraiment ce que je fais, qu'à gravir l'échelle pour les affronter. Le mépris de la plèbe contre mes poings qui les ferrera à la glèbe qu'il n'aurait jamais dû quitter. Je creuse dans les torses, je broie les membres et je fais jaillir les trois cent geysers de l'apocalypse. Ma répression terrible trouve encore du combustible : il se défend, un manant. Le plomb rebondit sur ma peau minérale, j'escalade les corps pour surmonter le peuple, celui-ci s'emballe et détalle. Les cris et les alarmes s'enchaînent, je n'en ai que faire ; je me suis débarrassé des chaines de ma moindre existence, me voilà grand, d'or, triomphant, sous une pluie de diamants. Pas encore. Mes deux clochards seront mes prélats, ceux d'une foi nouvelle !
Animé par le sang comme par la vinasse, je cours. Une idée a frappé mon encéphale, de sa violence comme de sa beauté. J'ai osé, mon audace ira-t-elle plus loin ? Du carnage sortira-t-il chose plus virulente ? Oui, voyez, l'amour transportent mes pieds. Il a bien longtemps que je le scrute, que des yeux je le caresse, que des lèvres je l'espère et que du cœur je cesse tout battement qui ne lui soit pas destiné. La fièvre du combat n'est pas retombée, elle s'est multipliée, je ne suis alors plus capable de la moindre pensée et c'est si écervelée que je pénètre l'appartement d'une jeune femme. Qu'importe son nom, son âge, son rang. Elle sait ce que je viens de faire par les arabesques écarlates qui courent le long de mes bras et que la furie me contraint d'ignorer. Je l'empoigne et l'étreigne, elle ne me connaît pas. Qu'importe qui je fus, qui je suis, qui je serai. Pour elle, tout importe et si elle le pouvait, elle me jetterait à la porte. Ma robustesse la bloque, ma folie m'égare : trop tard, je suis en elle.
Je la dévore, je ruine son esprit en souillant son corps, d'or elle redeviendra plomb, j'use du sien comme celui d'une putain. Cet enchaînement n'a pas de sens. Je la rabaisse alors que ma volonté a été de l'élever à mes côtés. J'ai des remords pendant l'acte, pourquoi ?
Je n'en puis plus, plutôt que de continuer, plutôt que d'à nouveau m'évader, je préfère la basculer par le balcon. Le père fait son entrée, il voit sa fille dénudée avant de la voir assassinée, pourquoi ?
Je me fige de terreur, le feu faiblit. Je considère ce qui m'a pris avec malheur. Cela devait être ma déesse … L'homme me fait face, ses yeux sont de glace. J'ai brisé quelque chose en lui, peut être toute sa vie. Je me rappelle comme j'étais un jour plus tôt convaincu de ne plus massacrer. Je suis allé trop loin, et sous mon horrible groin, attendant qu'on m'arrête, je récite la suite du livre :
« Les Trois Premiers, de chair et de pierre, naquirent en tuant leur mère. Le premier ne survivrait pas à la guerre, il périt dans les flammes de Marignan. Le second ne survivrait pas à la pègre, il périt au fond de l'océan. … »
Il y a là à terminer l'histoire, je l'ai autrefois imaginé plus conséquente. J'ai espéré toute une épopée, pourquoi pas une odyssée, qui me verrait couvert de lauriers, sur mes ennemis défaits. J'ai obtenu une vie désolée, où j'ai cru rayonner, mais où l'alcool m'a déféqué, pire que tout ce à quoi j'avais pu songer.
« Le troisième ne survivrait pas à l'erre, il périt pendu à Milan. »
Un monde de rêves
Dans un moment de douleur, je plongeais dans mon sommeil, refuge aimé par ma conscience. J’avais appris quelque part que j’étais un rêveur lucide. Je pouvais donc contrôler à ma guise mes rêves. De ce que j’en savais, je me trouvais particulièrement doué pour cela puisque je parvenais à provoquer l’apparition de ces rêves à n’importe quel moment dans la journée, y compris lorsque j’étais éveillé.
Je sombrais donc dans ma subconscience, avide de me créer un nouveau monde où je pourrais oublier temporairement mes problèmes. Je débarquai tout d’abord dans un monde onirique qui me plut peu. La transformation fut progressive mais je finis par me trouver sur la paroi d’une falaise particulièrement ardue à escalader. Ma jouissance n’en fut que plus grande lorsque je réussis à m’agripper à la prise suivante. Mon ascension était lente mais pleine d’assurance ; il m’était après tout impossible de perdre le contrôle dans un de mes rêves.
L’arrivée au sommet se trouvait imminente quand toutes sensations disparues de mes jambes. Flageolantes, faibles et hors de contrôle, je chutai dans un vide abyssal. Pour la première fois depuis mes jeunes années, je perdais mon pouvoir intérieur. Ma forteresse spirituelle s’effondrait sous son propre poids. Serait-ce un cauchemar ? Je ne connaissais pas ce phénomène, me pensant invulnérable à cela dans mon subconscient.
Le choc fut encore plus violent lorsque des flashs traversèrent mon esprit. L’explosion, le ciel, les cris, la chute, la panique, le crash, le noir, les débris, le sang, la douleur, le feu, la puanteur, les morts, le noir… Je luttai de toutes mes forces pour me réveiller, bandant toutes mes forces mentales pour quitter cette atrocité. Mais quelque chose me résistait, je ne me sentais plus dans mon corps. Un intr…
Je me réveillais en sursaut couvert de sueur, ressentant encore la douleur de mon corps désarticulé au fond de l’abîme.
- Il est réveillé ! cria quelqu’un à côté de moi. Tu vas bien jeune homme ? s’enquerra-t-il.
- Que…que s’est-il passé ? articulai-je péniblement.
- On a failli te perdre mon garçon, toi et ton cœur. Ce dernier a battu à une vitesse folle. Dis-toi que tu as peut-être explosé un record. En tout cas, ton cœur a failli lâcher et ta pression artérielle a grimpé en flèche, ce qui a dû durement éprouver ton organisme. Tu te souviens de quelque chose qui a pu provoquer ce phénomène ? m’interrogea-t-il.
-
Amèrement, je me souvins que je me trouvais à l’hôpital. L’avion, le crash, le seul survivant, ma paraplégie. J’étouffais en toussotant un rire nerveux.
- Non, rien. Un simple cauchemar.
Que s’était-il passé dans mon rêve ? Mon sanctuaire s’était effondré avec mes illusions. La souffrance avait été une prison insoutenable. Jamais je n’aurais pu imaginer cela de mon propre chef. Il était impossible que je perde le contrôle de mon subconscient. Je le manipulais à ma guise depuis que j’avais des souvenirs.
Un relent de dégoût s’empara de moi. Quelqu’un s’était-il insinué dans mes pensées ? La répulsion laissait place à la colère qui elle-même s’effaçait à la place d’une haine féroce et implacable, convaincu d’avoir eu affaire à un intrus. Avec une hargne que je ne me connaissais pas, et avec cette conviction effrayante, je replongeais dans un de mes rêves dans une intention de défi.
J’atterris dans le Colisée, épée à la main et public en fusion. Cinquante mille romains qui avaient soif de sang m’acclamaient unanimement.
- Maximus ! Maximus ! Maximus !
-
Je levais les mains dans un geste d’apaisement, réclamant par-là même le silence. Une fois le bruit des mouches audible, je laissai encore planer quelques instants la tension qui s’était installée.
Je hurlais alors brusquement, crachant ma rage.
- Intrus ! Révèles-toi ! Viens à moi si tu en as le courage, au lieu de me faire souffrir vicieusement et t’insinuer en moi comme un serpent.
-
Les minutes s’égrenèrent lentement dans un silence de mort, ajoutant à mon angoisse qui prenait progressivement le dessus sur ma haine bouillonnante. Mes idées s’embrouillaient ; et si je me trompais ?
Soudain, alors même que le doute m’avait pris, le sol se mit à trembler. Le public commençait à hurler contre ma volonté. Je vis les spectateurs se métamorphoser en singes qui poussaient de grands cris en me pointant d’un même doigt accusateur. Dans un grand éclat de rire, ils virent le sable de l’arène se dérober sous mes pieds, s’ouvrant sur un abîme à la profondeur infinie.
Tandis que j’allais tomber dans le vide, je jetais avec rage toutes mes forces pour me propulser sur le bord de la grande faille qui se formait dans un fracas assourdissant. Mes bras, mains et doigts tentèrent désespérément de se raccrocher à un quelconque monticule ou autre accroc, mais il m’était impossible d’en imaginer un pour me sauver. Glissant vers le vide, je plantai violemment mes doigts dans le sol pour finalement me retrouver suspendu à la corniche du gouffre.
Je ne parvenais plus à me concentrer et je pleurais de douleur sous l’effort demandé à mes muscles. Malgré cela, puisant dans une dernière réserve d’énergie, je vociférai haineusement :
- Sors de ta cachette et affrontes moi, maudit diable !
- Me voilà, me répondit, à ma grande surprise, calmement une voix qui m’était encore invisible.
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Le jeune patient avait été déplacé dans un bloc spécifique en toute urgence. Cela faisait déjà une heure que son cœur battait la chamade tandis que son corps était désormais pris de violentes convulsions. Jamais je n’avais vu une telle chose dans ma longue carrière de médecin, et j’ignorais encore plus ce qu’induisaient ces deux symptômes réunis.
Ignorant, j’hésitais à donner des instructions qui risquaient d’aggraver le problème. J’avais juste prévu au cas où tout le matériel de réanimation. Il fallait être réaliste, son cœur ne pouvait pas tenir un tel rythme, et même n’aurait déjà pas dû tenir ce rythme aussi longtemps.
Je me triturais les méninges à en devenir fou, ne trouvant toujours aucune solution. Je demandais conseils par-ci par-là à mes collègues, exposant quelques théories improbables sur l’origine du mal, mais personne ne me fut d’une quelconque utilité.
Je commençais à désespérer sérieusement quand j’eus soudain une intuition. Le patient avait parlé d’un simple rêve. Pris par l’excitation, certain que mon instinct me soufflait juste, je demandai à ce que le jeune homme soit mis immédiatement sous encélographie. Les premières constatations ne se firent pas attendre ; l’activité cérébrale du lobe du rêve était la plus intense qui ne m’ait été jamais permis d’observer. La cause des symptômes ne serait vraiment qu’un simple rêve ? A moins que ce ne soit un cauchemar.
Il fallait en tout cas agir, et vite. Mon patient se déshydratant à vue d’œil malgré la perfusion tellement il transpirait. Il fallait prendre une décision.
Et je la pris.
- Faites une injection d’adrénaline. On va essayer de lui donner un coup de fouet pour le réveiller. Sinon, son sommeil va le tuer.
- Vous êtes fou, me lança un de mes assistants. Ses capacités physiologiques sont déjà en surrégime, il va y passer !
- Suivez mes instructions ou il va vous donner raison en clamsant, rétorquai-je en pointant du doigt le jeune homme. Je prends l’entière responsabilité du geste, si ça peut vous rassurer.
-
Contre son gré, l’assistant sortit malgré tout une seringue d’un tiroir.
- Mettez une double dose, précisai-je.
- Quoi ?! Mais vous êtes complètement taré !
- Merde ! Tu ne vois pas que c’est notre seule possibilité ? m’énervai-je finalement. Son cœur et son cerveau risquent de lâcher n’importe quand à cause d’un stupide rêve, et on se trouve incapable de le réveiller. Il faut stopper ça le plus vite possible. A ce que je sache, on n’a pas encore inventé de bêtabloquants pour les rêves et cauchemars. Donnez-moi cette seringue, je m’en charge.
-
Ahuris par mon accès de colère, mon opposant et tout le reste de l’assistance restèrent les bras ballants. Je retrouvais ma placidité habituelle rapidement et planta sans hésitation la piqûre en plein cœur malgré un petit doute.
Les convulsions cessèrent immédiatement. Je crois que c’était la seule bonne nouvelle.
- Je crois que c’est mal barré, fis-je remarquer amèrement pour moi-même.
- Eh bien, cher Maxime, comment te sens-tu ? me demanda aimablement la silhouette qui se dessinait désormais en plein milieu de l’astre solaire.
- Qu’est-ce que vous me voulez, salopard ? éructai-je. Sortez de ma tête, mes rêves m’appartiennent !
-
Un petit sourire se dessina sur les lèvres de l’inconnu.
- C’est là que tu te trompes, mon jeune enfant ? Mais je vois que tu es dans une vilaine posture. Peut-être puis-je t’aide ?
- Je n’ai pas besoin de ton aide, je contrôle tout ici. Cet endroit est ma création.
- Tu es bien présomptueux de tes capacités. Cet abîme est le mien, comment est-ce possible dans « ton » monde ? rétorqua-t-il badinement.
- J’en sais rien, mais pour cela, je vais te tuer, crachai-je venimeusement.
-
Sentant un regain d’énergie subit, je tirai de toutes mes forces pour enfin réussir à me rétablir sur le surplomb. Enfin, je pouvais plonger mon regard dans les yeux de l’intrus.
- Qu’y a-t-il, docteur ? Vous avez réussi à stopper les convulsions au final. Vous aviez bel et bien raison, se repentit l’assistant frondeur.
- Non, je n’ai pas réussi. Je voulais le réveiller et c’est un échec. Soyons heureux qu’il n’e soit pas mort. De plus, son activité cérébrale a redoublé ainsi que la tension musculaire. Je ne vous parle pas de la tension artérielle.
- Et que faire dans ce cas ?
- Rien, si ce n’est le tenir bien au chaud pour que les muscles ne lâchent pas et pour dilater les vaisseaux sanguins, facilitant ainsi une circulation optimale.
-
Je laissais planer un moment de silence avant de lâcher :
- Et laisser faire en priant…
- Qui es-tu ? demandai-je avec aplomb.
- Je suis tout et rien. Je suis toi, je suis lui et elle, je suis nous. Peu importe qui je suis, je ne représente qu’une idée douée de volonté.
- Une idée ? Je vais t’en foutre des idées moi ! Mon esprit est assez fort pour te repousser, clamai-je sûr de moi maintenant qu’il me semblait avoir recouvré les commandes de mon rêve.
-
Sans prévenir, je fis une roulade sur le sable pour récupérer mon épée puis fonçai sur l’homme qui me faisait face. Alors que j’allais lui porter un coup fatal, celui-ci ne fit aucun mouvement pour esquiver et me regardait toujours de son sourire bienveillant. Je me rendis compte que mon arme avait disparu. Malgré cela, je poursuivis mon geste pour assener un violent coup de poing. Seulement, celui-ci ne fit que passer à travers de l’intrus. Il reprit alors la conversation comme si rien ne s’était déroulé entre-temps.
- Ton esprit est faible, au contraire. Il oublie et souffre. Ce n’est pas même la moitié du chemin qu’il doit parcourir. Il doit se souvenir, souffrir, accepter, comprendre puis s’élever.
- De quoi parles-tu ? Que connais-tu de moi sale monstre ? Je sais bien que tu n’es pas une partie intégrante de mon esprit, comment pourrais-tu me connaître ?
- Ton esprit oublie, mais il est perspicace, sourit mon adversaire. Evidemment, je ne te connais pas. Mais je sais tout de tes souvenirs et espérances. Seulement, tu balaies tout cela par la souffrance et l’oubli.
- Je n’ai rien oublié de mon passé, que me chantes-tu ?
- L’accident, souffla-t-il. Souviens t’en.
- Je m’en rappelle très bien, c’est à cause de lui que je suis à l’hôpital, répondis-je, troublé.
- NON ! SOUVIENS T’EN ! cria-t-il dans ma tête.
-
Et c’est alors que je retombais dans le noir. Puis, dans un flash aveuglant, les souvenirs affluèrent. La panique dans l’avion. Le commandant de bord qui énonce des instructions d’une voix mal assurée. L’avion qui vibre d’une manière folle dans sa chute. Mes parents qui me parlent. Moi, horrifié par les événements, qui n’entends pas. Ma copine qui me tient la main. Le commandant qui regrette dans son micro de ne pas avoir pu rétablir la situation. Un homme qui se détache, se lève et prie pour tout le monde. Ma compagne qui m’embrasse. Je l’enlace, espérant la protéger de mon corps lors de l’impact.
Le choc.
L’évanouissement. Le réveil. La douleur. Les morts. Mes parents. Ma petite amie. Mon avenir.
Je rouvris mes yeux et m’effondrai à genoux, gémissant et pleurant. Comment avais-je pu enfouir si profondément en moi la mort de mes parents ? Je n’avais même pas entendu leurs dernières paroles. Même protéger ma copine avait été au-dessus de mes forces. Je ne leur avais offert aucun dernier mot.
Pourquoi alors étais-je encore vivant ? Je ne pouvais même plus me mouvoir. Je ne méritais que de mourir.
Alors que je sombrais dans le désespoir le plus profond, je sentis une main affectueuse se poser sur mon épaule. Levant mes yeux rougis par les larmes, je reconnus enfin mon interlocuteur.
- Vous êtes Dieu, n’est-ce pas ?
- On m’a souvent affublé de beaucoup de noms, dont celui-là. Mes apparitions ont souvent donné naissance à des mouvements religieux bien malgré moi. Mais je n’ai pas les capacités que l’on me reconnait. Je ne suis pas le Créateur, bien que je sois un créateur. Sais-tu où nous sommes ?
- Dans mon rêve normalement, répondis-je machinalement.
- Oui et non. Le rêve est le chemin pour accéder en ces lieux, tout comme le cauchemar qui est fondamentalement la même chose, bien qu’il ne même pas exactement au même endroit. Non, nous sommes à Asgard, à Avalon, au Paradis, en Enfer, sur l'Olympe ou encore dans le jardin d’Eden, et j’en suis un des créateurs, bien que je fasse plutôt office de gardien des lieux.
- Le Paradis ? Alors il existe ?
- Pas dans la forme où les hommes le conçoivent. C’est un monde relié aux vivants, et non aux morts. Les morts ne peuvent venir ici.
-
Cet afflux d’informations extraordinaires était sur le point de faire disjoncter mon cerveau tellement celui-ci fourmillait de questions. J’avais réussi à accepter l’existence d’une entité supérieure, mais désormais il me fallait la comprendre. Je poursuivais donc toujours mon interrogatoire avec une curiosité insatiable.
- Et vous dites avoir créé ce monde ?
- Je n’ai pas cette prétention. Ce monde, je n’en connais pas l’origine de son existence. Mais j’ai eu de nombreuses années pour y réfléchir. Sais-tu que je suis arrivé en ce monde avec mes compagnons alors même que tout n’était que chaos ? Et j’imagine qu’avant qu’il n’existe ce monde de subconscient collectif, ce n’était que néant. Mais je suis arrivé bien après l’origine humaine et je n’ai fait qu’aider à ordonner ce monde. Celui-ci regorgeait de tous les rêves du monde dans ce qui ressemblait à une infâme bouillie.
- Des compagnons ? Vous n’êtes donc pas seul ?
- Je ne l’étais pas, me répondit-il tristement. Seulement, leur esprit a fini par être submergé par les rêves. Ils ne sont peut-être pas morts, mais ils n’ont plus leur propre volonté. Mais je ne perds pas espoir de trouver un nouveau compagnon.
- Comment cela, trouver un nouveau compagnon ?
- Ne comprends-tu pas comment je suis arrivé ici ?
- Non, je… A moins que… Mais ce n’est pas possible ! m’exclamai-je.
-
Un sourire étincelant se dessinait sur ses lèvres.
- Exactement ! Je ne suis pas différent d’un homme, ou tout du moins l’étais-je. Ta perception de ce monde est proche de la mienne puisque tu parviens par intermittence à contrôler ce monde. Néanmoins, je suis intervenu car ta capacité devenait dangereuse.
- Moi, dangereux ? m’offusquai-je. Dangereux alors que je ne suis qu’une conscience créative parmi des milliards ?
- Tu n’es qu’une seule conscience, en effet. Seulement, tu es une conscience créative comme je le suis et quelques autres. Sauf que ta créativité au potentiel immense a été perturbée par un événement.
- L’accident…
- Et oui. Ta souffrance était destructrice et pouvait faire entrer ce monde dans un nouvel âge infernal de par ta puissance créative, positive ou négative. Ce déséquilibre aurait été perceptible sur le monde terrestre puisque tout le monde rêve, avec toutes les conséquences que ça entraîne. Cela aurait perturbé l’avenir. Sache que les plus grands savants sont souvent très sensibles à ce monde et qu’ils y ont piochés les idées les plus lumineuses des siècles derniers. Ces idées avaient été construites par une collectivité qui ne savait pas les formuler par son manque de connaissance. C’est par ce bien que cette dimension se répercute dans le monde physique.
- Pourrais-je devenir un gardien de ces lieux tel que vous ? Vous semblez avoir besoin d’aide si des types comme moi créent une catastrophe dans ce plan d’existence, dis-je avec une pointe ironique.
- Qui sait ? Pour parvenir à l’élévation, il faut connaître la vie, la comprendre et ne rien oublier de ses joies et souffrances pour ensuite parvenir à un stade où la compréhension surpasse la compassion.
-
Puis il éclata d’un grand rire tonitruant qui ne colère guère à son image de vieux sage.
- Pourquoi riez-vous ? demandai-je surpris.
- Rien rien, je pensais seulement que je préfèrerais que ce soit une femme qui me rejoigne ah ah ! Je n’étais qu’un homme après tout. Mais, voudrais-tu vraiment me rejoindre ?
-
Je souris, le regardai intensément, et posai ma main sur son épaule.
- Oui, j’aimerais beaucoup.
Surpris de mon geste, il me rendit mon sourire et me répondit :
- Alors je te laisse t’en aller avec un petit cadeau.
- Docteur ! Son activité musculaire reprend alors qu’il dort toujours.
- Une crise de somnambulisme ?
-
Interloqué par la nouvelle tournure de l’état de mon patient, le l’observai attentivement. De nombreuses zones de son cerveau s’allumaient en effet sur l’encélographe. Une telle activité cérébrale était impossible ! On eut dit que deux personnes s’activaient dans la même tête.
Brusquement, il prit la seringue que j’avais utilisée sur le plateau à côté de lui alors qu’il avait toujours les yeux fermés. Tout alla trop vite et je n’eus que le temps de crier. D’un grand geste, il planta la grande aiguille dans sa cuisse.
C’est alors que l’impensable se produisit. Le jeune homme se réveilla dans un grand hurlement. Par sa seule volonté, il aurait réussi à sortir de son état presque comateux ?
- Ah putain ! Ça fait mal ! cria-t-il sous la douleur.
Mal ? Comment était-ce possible ? Il était paraplégique de façon irréversible !
Enfin, alors que j’eus été éberlué de ce miracle jusque-là, je repris mes esprits et le questionnais de façon maladroite.
- Co… comment te sens-tu mon garçon ? Que t’est-il arrivé ?
-
Il partit alors dans un rire de joie presque hystérique avant de me répondre.
- Moi ? Un simple rêve. Je crois que je ne me suis jamais senti aussi bien. J’ai comme une envie de me lever et de voyager pour découvrir le monde !
Je sombrais donc dans ma subconscience, avide de me créer un nouveau monde où je pourrais oublier temporairement mes problèmes. Je débarquai tout d’abord dans un monde onirique qui me plut peu. La transformation fut progressive mais je finis par me trouver sur la paroi d’une falaise particulièrement ardue à escalader. Ma jouissance n’en fut que plus grande lorsque je réussis à m’agripper à la prise suivante. Mon ascension était lente mais pleine d’assurance ; il m’était après tout impossible de perdre le contrôle dans un de mes rêves.
L’arrivée au sommet se trouvait imminente quand toutes sensations disparues de mes jambes. Flageolantes, faibles et hors de contrôle, je chutai dans un vide abyssal. Pour la première fois depuis mes jeunes années, je perdais mon pouvoir intérieur. Ma forteresse spirituelle s’effondrait sous son propre poids. Serait-ce un cauchemar ? Je ne connaissais pas ce phénomène, me pensant invulnérable à cela dans mon subconscient.
Le choc fut encore plus violent lorsque des flashs traversèrent mon esprit. L’explosion, le ciel, les cris, la chute, la panique, le crash, le noir, les débris, le sang, la douleur, le feu, la puanteur, les morts, le noir… Je luttai de toutes mes forces pour me réveiller, bandant toutes mes forces mentales pour quitter cette atrocité. Mais quelque chose me résistait, je ne me sentais plus dans mon corps. Un intr…
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Je me réveillais en sursaut couvert de sueur, ressentant encore la douleur de mon corps désarticulé au fond de l’abîme.
- Il est réveillé ! cria quelqu’un à côté de moi. Tu vas bien jeune homme ? s’enquerra-t-il.
- Que…que s’est-il passé ? articulai-je péniblement.
- On a failli te perdre mon garçon, toi et ton cœur. Ce dernier a battu à une vitesse folle. Dis-toi que tu as peut-être explosé un record. En tout cas, ton cœur a failli lâcher et ta pression artérielle a grimpé en flèche, ce qui a dû durement éprouver ton organisme. Tu te souviens de quelque chose qui a pu provoquer ce phénomène ? m’interrogea-t-il.
-
Amèrement, je me souvins que je me trouvais à l’hôpital. L’avion, le crash, le seul survivant, ma paraplégie. J’étouffais en toussotant un rire nerveux.
- Non, rien. Un simple cauchemar.
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Que s’était-il passé dans mon rêve ? Mon sanctuaire s’était effondré avec mes illusions. La souffrance avait été une prison insoutenable. Jamais je n’aurais pu imaginer cela de mon propre chef. Il était impossible que je perde le contrôle de mon subconscient. Je le manipulais à ma guise depuis que j’avais des souvenirs.
Un relent de dégoût s’empara de moi. Quelqu’un s’était-il insinué dans mes pensées ? La répulsion laissait place à la colère qui elle-même s’effaçait à la place d’une haine féroce et implacable, convaincu d’avoir eu affaire à un intrus. Avec une hargne que je ne me connaissais pas, et avec cette conviction effrayante, je replongeais dans un de mes rêves dans une intention de défi.
J’atterris dans le Colisée, épée à la main et public en fusion. Cinquante mille romains qui avaient soif de sang m’acclamaient unanimement.
- Maximus ! Maximus ! Maximus !
-
Je levais les mains dans un geste d’apaisement, réclamant par-là même le silence. Une fois le bruit des mouches audible, je laissai encore planer quelques instants la tension qui s’était installée.
Je hurlais alors brusquement, crachant ma rage.
- Intrus ! Révèles-toi ! Viens à moi si tu en as le courage, au lieu de me faire souffrir vicieusement et t’insinuer en moi comme un serpent.
-
Les minutes s’égrenèrent lentement dans un silence de mort, ajoutant à mon angoisse qui prenait progressivement le dessus sur ma haine bouillonnante. Mes idées s’embrouillaient ; et si je me trompais ?
Soudain, alors même que le doute m’avait pris, le sol se mit à trembler. Le public commençait à hurler contre ma volonté. Je vis les spectateurs se métamorphoser en singes qui poussaient de grands cris en me pointant d’un même doigt accusateur. Dans un grand éclat de rire, ils virent le sable de l’arène se dérober sous mes pieds, s’ouvrant sur un abîme à la profondeur infinie.
Tandis que j’allais tomber dans le vide, je jetais avec rage toutes mes forces pour me propulser sur le bord de la grande faille qui se formait dans un fracas assourdissant. Mes bras, mains et doigts tentèrent désespérément de se raccrocher à un quelconque monticule ou autre accroc, mais il m’était impossible d’en imaginer un pour me sauver. Glissant vers le vide, je plantai violemment mes doigts dans le sol pour finalement me retrouver suspendu à la corniche du gouffre.
Je ne parvenais plus à me concentrer et je pleurais de douleur sous l’effort demandé à mes muscles. Malgré cela, puisant dans une dernière réserve d’énergie, je vociférai haineusement :
- Sors de ta cachette et affrontes moi, maudit diable !
- Me voilà, me répondit, à ma grande surprise, calmement une voix qui m’était encore invisible.
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Le jeune patient avait été déplacé dans un bloc spécifique en toute urgence. Cela faisait déjà une heure que son cœur battait la chamade tandis que son corps était désormais pris de violentes convulsions. Jamais je n’avais vu une telle chose dans ma longue carrière de médecin, et j’ignorais encore plus ce qu’induisaient ces deux symptômes réunis.
Ignorant, j’hésitais à donner des instructions qui risquaient d’aggraver le problème. J’avais juste prévu au cas où tout le matériel de réanimation. Il fallait être réaliste, son cœur ne pouvait pas tenir un tel rythme, et même n’aurait déjà pas dû tenir ce rythme aussi longtemps.
Je me triturais les méninges à en devenir fou, ne trouvant toujours aucune solution. Je demandais conseils par-ci par-là à mes collègues, exposant quelques théories improbables sur l’origine du mal, mais personne ne me fut d’une quelconque utilité.
Je commençais à désespérer sérieusement quand j’eus soudain une intuition. Le patient avait parlé d’un simple rêve. Pris par l’excitation, certain que mon instinct me soufflait juste, je demandai à ce que le jeune homme soit mis immédiatement sous encélographie. Les premières constatations ne se firent pas attendre ; l’activité cérébrale du lobe du rêve était la plus intense qui ne m’ait été jamais permis d’observer. La cause des symptômes ne serait vraiment qu’un simple rêve ? A moins que ce ne soit un cauchemar.
Il fallait en tout cas agir, et vite. Mon patient se déshydratant à vue d’œil malgré la perfusion tellement il transpirait. Il fallait prendre une décision.
Et je la pris.
- Faites une injection d’adrénaline. On va essayer de lui donner un coup de fouet pour le réveiller. Sinon, son sommeil va le tuer.
- Vous êtes fou, me lança un de mes assistants. Ses capacités physiologiques sont déjà en surrégime, il va y passer !
- Suivez mes instructions ou il va vous donner raison en clamsant, rétorquai-je en pointant du doigt le jeune homme. Je prends l’entière responsabilité du geste, si ça peut vous rassurer.
-
Contre son gré, l’assistant sortit malgré tout une seringue d’un tiroir.
- Mettez une double dose, précisai-je.
- Quoi ?! Mais vous êtes complètement taré !
- Merde ! Tu ne vois pas que c’est notre seule possibilité ? m’énervai-je finalement. Son cœur et son cerveau risquent de lâcher n’importe quand à cause d’un stupide rêve, et on se trouve incapable de le réveiller. Il faut stopper ça le plus vite possible. A ce que je sache, on n’a pas encore inventé de bêtabloquants pour les rêves et cauchemars. Donnez-moi cette seringue, je m’en charge.
-
Ahuris par mon accès de colère, mon opposant et tout le reste de l’assistance restèrent les bras ballants. Je retrouvais ma placidité habituelle rapidement et planta sans hésitation la piqûre en plein cœur malgré un petit doute.
Les convulsions cessèrent immédiatement. Je crois que c’était la seule bonne nouvelle.
- Je crois que c’est mal barré, fis-je remarquer amèrement pour moi-même.
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- Eh bien, cher Maxime, comment te sens-tu ? me demanda aimablement la silhouette qui se dessinait désormais en plein milieu de l’astre solaire.
- Qu’est-ce que vous me voulez, salopard ? éructai-je. Sortez de ma tête, mes rêves m’appartiennent !
-
Un petit sourire se dessina sur les lèvres de l’inconnu.
- C’est là que tu te trompes, mon jeune enfant ? Mais je vois que tu es dans une vilaine posture. Peut-être puis-je t’aide ?
- Je n’ai pas besoin de ton aide, je contrôle tout ici. Cet endroit est ma création.
- Tu es bien présomptueux de tes capacités. Cet abîme est le mien, comment est-ce possible dans « ton » monde ? rétorqua-t-il badinement.
- J’en sais rien, mais pour cela, je vais te tuer, crachai-je venimeusement.
-
Sentant un regain d’énergie subit, je tirai de toutes mes forces pour enfin réussir à me rétablir sur le surplomb. Enfin, je pouvais plonger mon regard dans les yeux de l’intrus.
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- Qu’y a-t-il, docteur ? Vous avez réussi à stopper les convulsions au final. Vous aviez bel et bien raison, se repentit l’assistant frondeur.
- Non, je n’ai pas réussi. Je voulais le réveiller et c’est un échec. Soyons heureux qu’il n’e soit pas mort. De plus, son activité cérébrale a redoublé ainsi que la tension musculaire. Je ne vous parle pas de la tension artérielle.
- Et que faire dans ce cas ?
- Rien, si ce n’est le tenir bien au chaud pour que les muscles ne lâchent pas et pour dilater les vaisseaux sanguins, facilitant ainsi une circulation optimale.
-
Je laissais planer un moment de silence avant de lâcher :
- Et laisser faire en priant…
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- Qui es-tu ? demandai-je avec aplomb.
- Je suis tout et rien. Je suis toi, je suis lui et elle, je suis nous. Peu importe qui je suis, je ne représente qu’une idée douée de volonté.
- Une idée ? Je vais t’en foutre des idées moi ! Mon esprit est assez fort pour te repousser, clamai-je sûr de moi maintenant qu’il me semblait avoir recouvré les commandes de mon rêve.
-
Sans prévenir, je fis une roulade sur le sable pour récupérer mon épée puis fonçai sur l’homme qui me faisait face. Alors que j’allais lui porter un coup fatal, celui-ci ne fit aucun mouvement pour esquiver et me regardait toujours de son sourire bienveillant. Je me rendis compte que mon arme avait disparu. Malgré cela, je poursuivis mon geste pour assener un violent coup de poing. Seulement, celui-ci ne fit que passer à travers de l’intrus. Il reprit alors la conversation comme si rien ne s’était déroulé entre-temps.
- Ton esprit est faible, au contraire. Il oublie et souffre. Ce n’est pas même la moitié du chemin qu’il doit parcourir. Il doit se souvenir, souffrir, accepter, comprendre puis s’élever.
- De quoi parles-tu ? Que connais-tu de moi sale monstre ? Je sais bien que tu n’es pas une partie intégrante de mon esprit, comment pourrais-tu me connaître ?
- Ton esprit oublie, mais il est perspicace, sourit mon adversaire. Evidemment, je ne te connais pas. Mais je sais tout de tes souvenirs et espérances. Seulement, tu balaies tout cela par la souffrance et l’oubli.
- Je n’ai rien oublié de mon passé, que me chantes-tu ?
- L’accident, souffla-t-il. Souviens t’en.
- Je m’en rappelle très bien, c’est à cause de lui que je suis à l’hôpital, répondis-je, troublé.
- NON ! SOUVIENS T’EN ! cria-t-il dans ma tête.
-
Et c’est alors que je retombais dans le noir. Puis, dans un flash aveuglant, les souvenirs affluèrent. La panique dans l’avion. Le commandant de bord qui énonce des instructions d’une voix mal assurée. L’avion qui vibre d’une manière folle dans sa chute. Mes parents qui me parlent. Moi, horrifié par les événements, qui n’entends pas. Ma copine qui me tient la main. Le commandant qui regrette dans son micro de ne pas avoir pu rétablir la situation. Un homme qui se détache, se lève et prie pour tout le monde. Ma compagne qui m’embrasse. Je l’enlace, espérant la protéger de mon corps lors de l’impact.
Le choc.
L’évanouissement. Le réveil. La douleur. Les morts. Mes parents. Ma petite amie. Mon avenir.
Je rouvris mes yeux et m’effondrai à genoux, gémissant et pleurant. Comment avais-je pu enfouir si profondément en moi la mort de mes parents ? Je n’avais même pas entendu leurs dernières paroles. Même protéger ma copine avait été au-dessus de mes forces. Je ne leur avais offert aucun dernier mot.
Pourquoi alors étais-je encore vivant ? Je ne pouvais même plus me mouvoir. Je ne méritais que de mourir.
Alors que je sombrais dans le désespoir le plus profond, je sentis une main affectueuse se poser sur mon épaule. Levant mes yeux rougis par les larmes, je reconnus enfin mon interlocuteur.
- Vous êtes Dieu, n’est-ce pas ?
- On m’a souvent affublé de beaucoup de noms, dont celui-là. Mes apparitions ont souvent donné naissance à des mouvements religieux bien malgré moi. Mais je n’ai pas les capacités que l’on me reconnait. Je ne suis pas le Créateur, bien que je sois un créateur. Sais-tu où nous sommes ?
- Dans mon rêve normalement, répondis-je machinalement.
- Oui et non. Le rêve est le chemin pour accéder en ces lieux, tout comme le cauchemar qui est fondamentalement la même chose, bien qu’il ne même pas exactement au même endroit. Non, nous sommes à Asgard, à Avalon, au Paradis, en Enfer, sur l'Olympe ou encore dans le jardin d’Eden, et j’en suis un des créateurs, bien que je fasse plutôt office de gardien des lieux.
- Le Paradis ? Alors il existe ?
- Pas dans la forme où les hommes le conçoivent. C’est un monde relié aux vivants, et non aux morts. Les morts ne peuvent venir ici.
-
Cet afflux d’informations extraordinaires était sur le point de faire disjoncter mon cerveau tellement celui-ci fourmillait de questions. J’avais réussi à accepter l’existence d’une entité supérieure, mais désormais il me fallait la comprendre. Je poursuivais donc toujours mon interrogatoire avec une curiosité insatiable.
- Et vous dites avoir créé ce monde ?
- Je n’ai pas cette prétention. Ce monde, je n’en connais pas l’origine de son existence. Mais j’ai eu de nombreuses années pour y réfléchir. Sais-tu que je suis arrivé en ce monde avec mes compagnons alors même que tout n’était que chaos ? Et j’imagine qu’avant qu’il n’existe ce monde de subconscient collectif, ce n’était que néant. Mais je suis arrivé bien après l’origine humaine et je n’ai fait qu’aider à ordonner ce monde. Celui-ci regorgeait de tous les rêves du monde dans ce qui ressemblait à une infâme bouillie.
- Des compagnons ? Vous n’êtes donc pas seul ?
- Je ne l’étais pas, me répondit-il tristement. Seulement, leur esprit a fini par être submergé par les rêves. Ils ne sont peut-être pas morts, mais ils n’ont plus leur propre volonté. Mais je ne perds pas espoir de trouver un nouveau compagnon.
- Comment cela, trouver un nouveau compagnon ?
- Ne comprends-tu pas comment je suis arrivé ici ?
- Non, je… A moins que… Mais ce n’est pas possible ! m’exclamai-je.
-
Un sourire étincelant se dessinait sur ses lèvres.
- Exactement ! Je ne suis pas différent d’un homme, ou tout du moins l’étais-je. Ta perception de ce monde est proche de la mienne puisque tu parviens par intermittence à contrôler ce monde. Néanmoins, je suis intervenu car ta capacité devenait dangereuse.
- Moi, dangereux ? m’offusquai-je. Dangereux alors que je ne suis qu’une conscience créative parmi des milliards ?
- Tu n’es qu’une seule conscience, en effet. Seulement, tu es une conscience créative comme je le suis et quelques autres. Sauf que ta créativité au potentiel immense a été perturbée par un événement.
- L’accident…
- Et oui. Ta souffrance était destructrice et pouvait faire entrer ce monde dans un nouvel âge infernal de par ta puissance créative, positive ou négative. Ce déséquilibre aurait été perceptible sur le monde terrestre puisque tout le monde rêve, avec toutes les conséquences que ça entraîne. Cela aurait perturbé l’avenir. Sache que les plus grands savants sont souvent très sensibles à ce monde et qu’ils y ont piochés les idées les plus lumineuses des siècles derniers. Ces idées avaient été construites par une collectivité qui ne savait pas les formuler par son manque de connaissance. C’est par ce bien que cette dimension se répercute dans le monde physique.
- Pourrais-je devenir un gardien de ces lieux tel que vous ? Vous semblez avoir besoin d’aide si des types comme moi créent une catastrophe dans ce plan d’existence, dis-je avec une pointe ironique.
- Qui sait ? Pour parvenir à l’élévation, il faut connaître la vie, la comprendre et ne rien oublier de ses joies et souffrances pour ensuite parvenir à un stade où la compréhension surpasse la compassion.
-
Puis il éclata d’un grand rire tonitruant qui ne colère guère à son image de vieux sage.
- Pourquoi riez-vous ? demandai-je surpris.
- Rien rien, je pensais seulement que je préfèrerais que ce soit une femme qui me rejoigne ah ah ! Je n’étais qu’un homme après tout. Mais, voudrais-tu vraiment me rejoindre ?
-
Je souris, le regardai intensément, et posai ma main sur son épaule.
- Oui, j’aimerais beaucoup.
Surpris de mon geste, il me rendit mon sourire et me répondit :
- Alors je te laisse t’en aller avec un petit cadeau.
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- Docteur ! Son activité musculaire reprend alors qu’il dort toujours.
- Une crise de somnambulisme ?
-
Interloqué par la nouvelle tournure de l’état de mon patient, le l’observai attentivement. De nombreuses zones de son cerveau s’allumaient en effet sur l’encélographe. Une telle activité cérébrale était impossible ! On eut dit que deux personnes s’activaient dans la même tête.
Brusquement, il prit la seringue que j’avais utilisée sur le plateau à côté de lui alors qu’il avait toujours les yeux fermés. Tout alla trop vite et je n’eus que le temps de crier. D’un grand geste, il planta la grande aiguille dans sa cuisse.
C’est alors que l’impensable se produisit. Le jeune homme se réveilla dans un grand hurlement. Par sa seule volonté, il aurait réussi à sortir de son état presque comateux ?
- Ah putain ! Ça fait mal ! cria-t-il sous la douleur.
Mal ? Comment était-ce possible ? Il était paraplégique de façon irréversible !
Enfin, alors que j’eus été éberlué de ce miracle jusque-là, je repris mes esprits et le questionnais de façon maladroite.
- Co… comment te sens-tu mon garçon ? Que t’est-il arrivé ?
-
Il partit alors dans un rire de joie presque hystérique avant de me répondre.
- Moi ? Un simple rêve. Je crois que je ne me suis jamais senti aussi bien. J’ai comme une envie de me lever et de voyager pour découvrir le monde !
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