Oneirothèque

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Pour faire plaisir à Déca <3 Comme mon essai de pièce de théâtre est mort-né faute, d'inspiration pour passer un début d'introduction, je poste ce petit quelque chose, dont les méandres poussiéreux ont quelques mois d'âge. Néanmoins, la plupart de mes récits étant plus ou moins liés, on va dire que j'avance toujours mon oeuvre, phrase par phrase ! Il se peut que la présente oeuvre contienne des incohérences ou des vides (des fautes aussi :D), auquel cas je demande, aimable public, votre plus sincère indulgence.

Bien. Voici mon premier édit de ce topic, dans l'espérance la plus profonde qu'il soit suivit par d'autres toujours plus nombreux. Et cela, je le sais, dépend à mon trop grand regret uniquement de moi-même. Ce premier édit, comme je le disais, rajoute de nombreux textes, et tente de mettre à jour un très -trop- grand projet. Le monde de Courbes, dont vous avez expérimenté sa noirceur industrielle et sa terreur technologique, où s'ajoute une dictature militaire qui plane en arrière plan, est dans mon esprit plus complexe que cela. Il faut y ajouter une rébellion pour la liberté, qui est la première forme d'opposition au gouvernement, une secte religieuse et fanatique, qui constitue la deuxième forme d'opposition, et enfin il y a une part de magie, représentée par des portes spatio-temporelles qu'il est extrêmement difficile de contrôler.

Là où ça devient intéressant, c'est que ces portes donnent accès au passé, via une île inconnue perdue dans l'océan, "que ne peuvent trouver que ceux qui savent déjà où elle se trouve". L'île est la plaque tournante ou passé et futur, para-mondes et continuité historique s’emmêlent. Cela me permet deux choses : une, pouvoir constituer un recueil de nouvelles que je dirai "oniriques" et les associer sans pour autant qu'il y ait d'interférences ; deux, relier le monde de Courbes, à un autre, que deux personnes ici connaissent avec des avis largement opposés, nommé Hélias, un projet pour l'instant en état d'hibernation avancée. Bien, je pense en avoir fini avec cet édit. Je le mets sous spoiler, et vous communique ci-dessous la liste des ajouts :

  • La deuxième partie du Prologue de Courbes.
  • Les Âmes d'à Côté.
  • Kaitse et Noa.
  • L'Épidémie Onirique.
  • Une Histoire de Voyage.
  • Divers textes issus du monde d'Hélias.

Ah non, je n'ai pas fini. La plupart des textes ci-dessus, raison d'ailleurs pour laquelle je ne remonterai pas ce topic pour faire part de ces ajouts, est que les textes ci dessous sont "en chantier", et je renonce à vous mettre ceux qui ne sont pas "convertis" et qui se situent dans un tout autre univers. Vous verrez beaucoup de morceaux, incorrects pour la plupart sur de nombreux points, et beaucoup de vide. C'est un puzzle en cours de fabrication, et moi-même je ne sais pas où placer chaque pièce. Mais demain est plein d'espoir. Merci de m'avoir lu !

Bien. Le compteur tourne et indique désormais deux édits. Celui-ci ajoute quelques poèmes de ma main que j'ai sélectionné, ainsi que l'introduction d'un recueil, intitulée Les Balançoires. Je n'importe volontairement pas tous mes écrits en vers, puisqu'il y en aurait beaucoup trop, et que tous ne me satisfont pas forcément. A contrario, je suis loin d'avoir terminé mon recueil, bien que je sache plus ou moins dans quelle direction aller.

Quant au contenu même des poèmes, je pense être à mi-chemin entre l'onirisme et le sombre. Ces deux thèmes articulent d'ailleurs le recueil. Si vous ne deviez en lire qu'un, je vous oriente particulièrement vers Quand vient la nuit. Merci de m'avoir lu !

Bien. Un troisième édit, l'horloge pointe à quinze heure. J'ajoute cette fois-ci un énième texte, intitulé sobrement Soif. Celui prend corps dans un monde qu'on pourrait qualifié de post-apocalyptique : peu de ressources, et de rares survivants d'une humanité disparue livrés à eux-même. J'espère sincèrement tirer un quelque chose de plutôt conséquent de Soif, mettons, une bonne dizaine de pages Word, et plus si affinité. Ambitieux, ça oui. Mais il le faut bien, n'est ce pas ? C'est propre à chaque écrivain, y compris celui que vous êtes. Merci de m'avoir lu !

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  • Cycle de Courbes

    Voici donc, mesdemoiselles, mesdames et messieurs, un essai de science-fiction inachevé, dont les vastes amas de gravas qu'il me reste à déblayer serviront à l'édification d'un récit taillé dans le marbre. Sans plus attendre, voici Courbes !​

    Le capitaine Hémon Rogard tapote frénétiquement du pied. La porte de métal grande ouverte sur la cellule vide est plus qu’éloquente. La sentinelle à côté de l’ouverture a du mal à cacher son inquiétude, et retient son souffle tant bien que mal, essayant de se faire la plus discrète possible.

    - Soldat ! crie soudain l’officier, le geôlier se rangeant aussitôt au garde à vous, son fusil heurtant maladroitement son épaule. Tu dis qu’il n’y a pas de trace d’effraction ?

    - Affirmatif, mon capitaine ! La cellule était toujours fermée à clef lorsque nos capteurs ont indiqués qu’il n’y avait plus d’activité thermique à l’intérieur.

    L’officier reste songeur, sans plus penser au garde impressionné. Cette histoire est proprement à dormir debout ! La 54 est la cellule la mieux gardée du Quartier de Haute Sécurité, preuve en est de l’arsenal technologique qui barde les parois de métal, et voilà que son prisonnier s’est évadé. Le capitaine Rogard est soudain pris d’une vague d’inquiétude.

    - Ouvrez les autres cellules !

    Sept prisonniers. Le total est tombé en fin d’après-midi. Le capitaine Rogard se passe lentement la main sur le visage. Si les évadés ne sont pas rapidement trouvés, c’est lui qui risque dès lors de se trouver derrière les barreaux. Il n’a plus le choix, et malgré la peur étouffante que lui procure l’extérieur du pénitencier, il va devoir s’y risquer. Quittant son austère bureau, il se dirige d’un pas décidé vers le centre de commandement. S’approchant du système de communication, il prononce l’alerte de niveau quatre, et se met à hurler à pleins poumons dans le micro.

    - Branle-bas de combat ! Je veux les deux dirigeables prêts à décoller dans une demi-heure ! Emportez tous l’attirail de combat, on sort dans ces putains de Landes, et j’ai envie de rentrer en seul morceau ! Le moindre lâche qui refuse de monter à bord fera trois semaines aux cachots ! Exécution !

    Un désordre sans nom règne dans les premières minutes qui suivent l’annonce. Les soldats courent chercher leur équipement, tandis que les mécaniciens tentent tant bien que mal de faire marcher les deux engins qui trônaient dans les hangars. Le vrombissement des moteurs fait trembler les murs de ciment qui émergent du sol. Enfin, les deux véhicules sortent par les toits ouvrants et viennent se poser devant les lourdes portes de fonte du complexe, difficilement ouvertes spécialement pour l’occasion. Les soldats montent au pas de course dans les soutes, dans un sentiment où se mêle l’excitation du vol et la peur qu’il procure. Les tourelles des dirigeables sont armées tandis que le carburant est injecté dans la tuyauterie.

    - La Garde reste au pénitencier ! Doublez la surveillance, je ne veux pas d’autre ennuis sur les bras !

    Après que les derniers retardataires soient montés, les troupes au sol se replient derrière les murs épais et verrouillent les portes. Les moteurs rugissent, et sous une formidable poussée, les deux mastodontes décollent dans les airs. Le capitaine Rogard va s’asseoir au poste de commandement, et les yeux résolument fixé vers l’avant, détaille anxieusement le paysage.

    Des nuages survolent mécaniquement ces contrées austères et dépeuplées. Des débris de lumières errent encore çà et là, qui tentent de se terrer pour se faire oublier. Les maigres brins d’herbe qui hantent les lieux sont bientôt morts de faim ; et il n’y a pour roc que des gravillons tranchants. Quelques buissons épars poussent ici, semblables à des mains décharnées se tordant vers le ciel. Le sable qui parsème le sol est brûlant telle une fournaise fumante. Le peu de pluie s’évapore sans pouvoir toucher ces grains poussiéreux. Des sillons à sec creusent le sol, témoin d’une époque passée depuis longtemps durant laquelle la vie s’était établie ici. Des vapeurs acides sortent des puits, geysers empoisonnés. L’air est étouffant, irrespirable, suffocant. Le soleil lui-même fuit ces lieux dévastés, la lune et les étoiles ont déserté le firmament. Derrière les nuages, il n’y a qu’un néant gris et irréprochable. Ce sont les Landes.

    Parmi les dunes, des vestiges d’une époque lointaine. Des poteaux électriques tombés au sol, dont les fils sont parfois agités de soubresauts nerveux. Des restes de véhicules motorisés gisent à terre, à demi-enfouis, témoin d’une période sombre qui avait mis le pays à feu et à sang. Des anciens bâtiments sont jetés bas, ruines évocatrices du passé douloureux qui s’est joué ici. La guerre a autrefois ravagé ces lieux, semant la désolation. Les quatre, juchés sur leurs chevaux ténébreux, ont fait la course sur ces terres, lorsqu’elles pouvaient encore prétendre à cette appellation. La Capitale était avant les Révoltes Réprimées un vaste empire s’étendant derrière l’horizon. Mais les villes asservies se sont rebellées, et une guerre s’est déclarée. La Capitale s’est imposée en quelques mois seulement. L’Etat-Major ordonna par la suite l’annihilation totale des opposants. Les rares rescapés qui tentaient de fuir étaient abattus, sans distinction, sans exception. Des armes nouvelles furent employées, détruisant les confins, maudissant ces territoires à jamais. Une ceinture désolée se créa loin de la Capitale, là où étaient les bastions rebelles.

    Et dire que c’est dans ces déserts tourmentés que les évadés ont entamé leur périple, pensant que les vigiles du pénitencier qu’ils laissaient derrière eux les laisseraient mourir de faim. Mais non… Un évadé doit périr par la main de ses précédents gardiens. C’est la loi. Les forts l’appliquent ; les faibles y sont soumis ; les fous la fuient. Les fous, ou ceux qui n’ont rien à perdre d’autre qu’une vie dans les cellules d’une prison au bord du monde, aux dernières frontières du territoire de la Capitale, là où commence les Landes. L’officier parti d’un rire nerveux et ignora les regards inquisiteurs de ses subordonnés. Après tout,vivre dans les taudis des cités séculaires où se côtoient les immenses immeubles de grisaille bleutée et les bidonvilles des bas-fonds vaut mieux qu’une salle fermée de murs d’acier ; au moins les pauvres sont libres, mais ils ne voient cette réalité qu’une fois qu’un cachot les a engloutis dans ses ténèbres sales.

    Cela fait plusieurs jours que les dirigeables planent vers le septentrion. Des sept qui ont bravé l’interdit en quittant le pénitencier, un seul marche toujours, droit vers le Nord, vers le cœur des Landes. Son ombre le suit, comme un prédateur qui sait que sa proie va bientôt mourir ; tel un charognard, qui n’attend que la bonne occasion de se repaître. Son sang goutte de ses coupures et forme des courbes sur le sol triste et sablonneux derrière lui. Du moins, courbes il y avait avant qu’une rafale n’emporte tout et disperse les traces au creux des nuages. Le reste du groupe est mort il y a bien longtemps. Les Landes sont ainsi, impitoyables espaces qui apprécient les festins de cadavre. Lui aussi sera bientôt digéré, assimilé. Et, fatalement, oublié dans l’air stagnant.

    Ou bien il sera reprit par les forces gouvernementales, à sa poursuite dans leurs machines volantes, carcasses de métal que l’homme a plié à son imaginaire. Les aéronefs dont est équipé ce pénitencier datent de l’avant-guerre. Les turboréacteurs attachés à la cuirasse de ces oiseaux de métal sont vieux, fatigués. Rafistolés avec les moyens du bord, c’est à se demander comment ils font pour fonctionner malgré le poids des années. Et pourtant, le ronronnement métallique qui se fait entendre atteste de leur bon état de marche. Ces masses grises qui se meuvent dans les airs semblent flotter, dénuées pourtant de la grâce des oiseaux marins dont parlent les contes pour enfants, dans les hauts quartiers de la Capitale.

    Les vigiles ont lancé des corbeaux à la poursuite de l’évadé. Les chimistes de la Capitale ont apprivoisé et soumis à leur folie les corps biologique pour le compte de l’Etat-Major ; ces expériences sont devenus des armes ou des outils logistiques vivants. Déjà, voilà qu’un des animaux repère sa cible, petite silhouette cahotant sur les dunes. Le guetteur maladif se désagrège dans un flash aveuglant. L’éclair lumineux heurte la rétine du vigile de garde qui donne l’alerte. Les alarmes s’empressent d’hurler leur rage, gyrophares rougeoyants parmi la grisaille des nuées. On lance la traque. Efficace et obéissant, c’est ainsi que sont les bons soldats. Les autres sont officiers, les pires sont généraux. La succession d’illuminations qui ravage le ciel confirme les propos du soldat. Il sera récompensé. Le capitaine de bord aboie des ordres que ses subordonnés s’appliquent à exécuter. Les machinistes mettent cap au nord-est ; la flottille vogue, crachotant sa fumée noire, vers sa nouvelle destination.

    On largue de nouveaux corbeaux, sans aucune compassion pour les précédents déjà disparus. Ils sont objets. Ils volettent dans l’air quelques secondes avant d’imploser, sans bruit, tranquillement, presque contents de mettre fin à leur vie. Des filins sont déployés, et des vigiles s’y accroche et en descendent. Leurs uniformes épais ne sont pas adaptés au climat local. Des maigres pièces de métal se succèdent à des bouts de cuir bouilli, renforcé à l’intérieur d’un genre de lourd gambison protecteur. Le tout est doublé d’une cape de fourrure de synthèse. Ils sont bientôt trempés de sueur, fatigué. Pourtant, ils cherchent docilement l’évadé. Ils sont chacun équipés d’un vieux fusil au coup à coup. Les balles pendouillent en bandoulière sur leurs épaules. Un couteau, bien souvent rouillé, complète leur armement. Ils portent un masque à gaz sale et tâché par le temps qui leur évite d’être intoxiqués par les vapeurs. La Capitale ne se soucie que peu du matériel acheminé aux pénitenciers situés au bord des Landes.

    Il n’y a pas d’échappatoire, pas plus que d’espoir une fois qu’on est interné là-bas. La prison ou la mort, par asphyxie si on gagne les Landes, par déshydratation si on tente de regagner la Capitale. Les prisonniers sont un mélange hétéroclite de meurtrier et de criminels de pensée. Une déviance des lois fondamentales sont sans appel : la société ne veut pas d’éléments instables. Les gens qu’on a parqués dans une cellule du bout du monde sont ceux responsables d’un crime de pensée. Une parole trop haute, et un transporteur est déployé pour acheminer le fautif vers sa dernière demeure ; le rapporteur est faiblement récompensé, mais une piécette peut permettre de vivre dans les bas-fonds. L’Etat -Major juge qu’une pensée corrompue est récupérable. Mieux vaut les interner loin d’ici et les faire mourir à petit feu plutôt que de risquer qu’ils ne propagent leur poison au sein même de la Capitale.

    L’évadé est retrouvé, inconscient. La chaleur lui a fait tourner la tête ; les gaz ont dû pénétrer son système cognitif. Qui sait de quoi il peut bien rêver à présent ; s’il est toujours capable de rêver. Les soldats le chargent tant bien que mal sur leurs épaules affaiblies, et le hissent à bord d’un brancard amarré au vaisseau-amiral par des câbles usagés. Les hommes s’accrochent à leur tour aux filins, et le chargement est remonté dans les soutes des différents navires. Les soldats se déchargent sans plus tarder de leur équipement encombrant, et le médecin de bord prend en charge le fuyard. Après un rapide diagnostic s’assurant que l’évadé est toujours vivant, celui-ci est enfermé sans traitement et sans ménagement dans une des cellules du vaisseau. Les soldats qui l’ont porté le laissent là pour mort, incapable du moindre geste. La flottille regagne prestement le pénitencier, sous la lumière d’un lourd soleil. Même si officiellement les Landes sont vides de vie, mieux vaut ne pas trainer trop longtemps dans ces paysages attristés.

    Le prisonnier est transféré dans le QHS (Quartier de Haute Sécurité) de l’établissement, isolé du reste de la prison. Toujours comateux, il n’oppose aucune résistance à ses bourreaux. Il est enfermé là, avec un peu d’eau et de pain en guise de repas. Les muscles lâches, son dos glisse contre la paroi et il se retrouve face contre terre. Son esprit, embrumé par les vapes acides, erre aux limites du conscient, sans pouvoir en passer la barrière. Il revoit les splendeurs de la Capitale, les misères des bas quartiers. Un imperceptible sourire s’étire sur son visage impassible. Bientôt tout sera fini. Tout.

    L’officier, dans sa loge spacieuse et décorée avec goût, se félicite de cette prise. Il est regrettable bien sûr que les six autres détenus aient trouvé la mort au cours de leur escapade, mais au moins un est récupéré : l’honneur, sinon sauf, n’est pas brisé. Enfin, presque. Il se met à jouer nerveusement avec la plaquette du prisonnier, que celui-ci portait encore autour du coup lors de sa capture. Alphonse Laurent, peut-on y voir inscrit. Et si on retourne la plaque, d’autres gravures marquent le métal : « Condamné le 6/09/1958. D.E.G. 5482». Le sigle signifie que le détenu est coupable de diffamation envers le gouvernement. Cela peut être des paroles, des graffitis, ou simplement un coup de tête de l’Etat-Major. Le numéro est celui qui sert d’immatriculation au prisonnier. Chacun est fiché dans les registres du gouvernement. La tête n’oublie jamais. Le téléphone sonne, et l’officier sursaute brusquement. Sortant de sa rêverie, il décroche le combiné et l’approche de son oreille.

    - Capitaine Rogard à l’appareil, j’écoute.

    La voix qui lui répond est froide, dénuée d’émotion. Elle exécute les ordres qu’on lui donne. Bien que le capitaine Rogard ne soit pas un tendre, cette voix lui donne bien vite la chair de poule. Des sueurs lui viennent lorsque la voix annonce son grade.

    - Bonsoir, capitaine. Ici le secrétaire personnel du chef de l’Etat-Major. Nous avons appris qu’un de vos prisonniers s’était évadé aujourd’hui, est-ce exact ?

    Rogard déglutit péniblement. Le gouvernement a des mouchards jusque dans les pénitenciers. Il manifeste son acquiescement avec un petit « Oui ». La voix reprend, plus froide que jamais.

    - Voyez-vous, capitaine, en temps normal, cette évasion vous aurait valu une comparaison devant un tribunal militaire. Mais le gouvernement a ardemment besoin en ces jours d’un prisonnier à exécuter publiquement afin de rappeler au peuple de la Capitale qui commande et qui fait les lois. Certains courants de pensée agitent les basses sphères de la population, et une exécution publique d’un seul aura plus de répercutions que des rafles dans les taudis. Un transporteur viendra chercher le prisonnier numéro cinq mille quatre cent quatre-vingt-deux dans la journée. D’ici là, tachez de le faire tenir debout, qu’il ne nous arrive pas mort au district, sans quoi vous serez sur la potence. Bonne nuit, capitaine.

    La conversation se coupe dans un grésillement étouffé. Le capitaine Rogard est tétanisé, son corps, affalé dans le fauteuil, ne lui obéit plus. Des pensées se succèdent par flash interposés dans son esprit. Emergent du lot la vision d’un homme qui lui ressemble fortement en train de se balancer au bout d’une corde. L’officier sort en trompe de sa chambre, fait réveiller la garnison, et leur hurle des ordres que les soldats exécutent avec zèle. Au petit matin, la prison est nettoyée de fond en comble ; les prisonniers sont rasés et bien habillés ; les soldats se sont vêtus de leur uniformes de parade. Alphonse Laurent a été pris en charge par l’équipe médicale toute la nuit durant. Les lignes de perfusions courent le long de ses membres et sur ton torse sont comme des tentacules transparents, telles des artères à fleur de peau. Un masque lui couvre le visage, masquant ses yeux. Peu après la collation, un bourdonnement emplit l’air, et le mastodonte impérial se pose peu après à quelques dizaines de mètres du pénitencier. La large typographie à l’avant l’annonce comme le VEM Morgane.

    Le capitaine Rogard attend, la bouche sèche, dans la grande cour de la prison. Les vigiles, disposés en carré ouvert autour de lui, semblent des statues de granit. Dans ce silence, cérémonial, le bruit des bottes martelant le sol est très distinct, et rompt avec la monotonie du vent. Trois officiers en tenue militaire, l’arme à la ceinture, passent la porte d’accès. Passant devant les soldats sans un seul regard, ils s’arrêtent finalement devant Rogard, déjà au garde-à-vous. Ils se saluent mutuellement, et les nouveaux arrivant lui ordonnant le repos. Ils sont bien plus hauts que lui dans la hiérarchie militaire. C’est dire l’importance que revêt l’exécution d’Alphonse. Une équipe de médecin charge le brancard sur le lequel est installé Alphonse à bord du vaisseau. Le lit tangue au fil des cailloux qui parsèment le sol.

    Les officiers échangent des informations relatives au prisonnier 5482. Rogard leur fourni, tremblotant et redoutant le contact de leurs mains gantées, une mallette contenant tout le dossier. Il est coutume de le brûler lorsque le prisonnier meurt. Le chef de la mission échange un bref regard avec Rogard, et confie l’objet à ses subordonnés. Le salut est réitéré, et ils repartent vers le Morgane. Le tout a duré moins d’une heure. Le vaisseau impérial décolle dans un vacarme assourdissant. Des gerbes de sable sont projetées contre la prison. C’est une tempête qui s’engouffre par la porte d’entrée laissée grande ouverte. Les vigiles, dans le plus strict respect de l’ordre militaire, n’esquissent pas le moindre geste. Rogard même accepte d’être submergé par le nuage.

    Quand la tempête s’est envolée dans l’air brûlant, le capitaine essuie négligemment son front où se mêle sueur et poussière. Il tente de déglutir, la bouche plus sèche que jamais. La pensée qu’il n’est qu’un pion au service du haut commandement l’étreint. Pour la première fois, l’impression d’avoir tué un non-coupable le prend. Il s’en retourne à sa loge, sans mot dire, sans geste de révolte. Le pouvoir de la Capitale est effrayant.
    Le Morgane atterrit sur le quai numéro cinq. Durant le voyage monotone qui l’a conduit jusqu’en Capitale, Alphonse n’a pas ouvert les yeux. Les battements de son cœur semblent moins incertains, mais les médecins craignent pour leur vie si d’aventure il venait à s’arrêter. Une exécution ou plusieurs, l’Etat-Major est loin de s’en soucier. Mais il est devenu ardu de recruter des personnes entièrement dévouées au gouvernement. Des mouvements d’insurgés aux ordres de l’Eglise sont de plus en plus menaçants, allant jusqu’à infiltrer certains corps armés. Des actes terroristes éclatent, isolés. S’ensuivent des rafles par dizaines sur les individus vers lesquels se portent les soupçons. C’est un bras de fer permanent entre le gouvernement et les forces rebelles, et aucun n’est prêt à lâcher. C’est la raison de l’exécution d’Alphonse. Montrer une fois pour toute qui détient le pouvoir. Bien que l’Etat-Major détienne l’essentiel des forces armées, il redoute un coup d’Etat.

    Le corps d’Alphonse est parsemé d’électrodes blanches. Les perfusions ont été régulièrement changées. Les diagnostics des médecins se sont enchaînés : il apparait clairement que l’évadé est allé trop loin dans les Landes. Si certains s’interrogent sur l’hypothèse de la ligne du non-retour, ils se gardent bien d’en parler. La priorité n’est pas de réveiller Alphonse, mais de le garder en vie. Les illusions de l’Etat-Major feront le reste.

    On a prévu l’exécution dans deux jours. Pour le treize avril quatre-vingt-neuf, à dix-sept heures. L’Etat-Major règne avec une main de fer sur le pays depuis presque un siècle désormais. Contesté, mais jamais déchu. L’Eglise est le plus puissant mouvement de révolte qu’a eu à essuyer l’Etat-Major. La foi des fanatiques peut déplacer des montagnes lorsqu’elle est canalisée, contrôlée, manipulée. Les milices ecclésiastiques sont recrutées très tôt, dès l’enfance, de force. On en fait de parfaits combattants ne craignant ni la mort, ni la vie. Des pantins désarticulés sans libre arbitres, voilà ce que sont les hommes de mains de l’Eglise. Les troupes d’élites ne sont même pas humaines. Trop de défaillance, de risque, malgré le conditionnement. Une machine incarne la perfection. L’Eglise compte sept de ces cyborgs. Ils ont l’apparence d’anges ailés.

    Alphonse est interné dans l’hôpital militaire. Une équipe le surveillera constamment pendant les prochains jours. Elles essaieront toutes de le ranimer avant la date butoir. Les heures filent, les minutes s’enchaînent, les secondes se dédoublent. Le treize avril se lève sur la Capitale, toute souillée d’un brouillard sombre. L’exécution aura lieu devant le quartier général de l’Etat-Major. Plus tôt dans la semaine, des tribunes ont été élevées, afin de profiter du spectacle. Un maximum de personne doit pouvoir assister à l’opération, qui s’est vu offrir une large couverture médiatique. L’exécution s’annonce comme une onde de choc dans la ville.

    Il est l’heure. Alphonse semble avoir récupéré quelque peu, aussi bizarre que cela puisse être. Il reste docile, acceptant de se faire traîner sans ménagement jusqu’au lieu de son dernier soupirs. A son arrivée sur la place, le silence se fait. Pas d’acclamations, ou de huées. Simplement le bruit du vent sur les visages. On le conduit, immobile au centre, encadré par les tribunes. Le peuple de la Capitale se tient là, tout autour. La tribune centrale abrite l’assemblée et le gouvernement. Des vivats et des acclamations retentissent de ce côté-là lorsque les gardiens amènent leurs prisonniers dos au mur. Les regards des condamnés fixent le sol. Ils savent ce qui va se passer, mais n’osent relever la tête. Non qu’ils soient lâches, mais l’idée de regarder la mort en face est une chose bien difficile, lorsqu’on ne peut s’en défendre.
    - Soldats, armez !
    C’est la voix du capitaine de la garde qui retentit. C’est à lui que l’on confit d’ordinaire les missions d’exécution, qu’il effectue avec zèle. Les soldats chargent leurs fusils d’un seul bloc.
    - En joue !
    Les fusils s’épaulent de concert. Le premier rang de tireur s’agenouille. Les condamnés ne bronchent pas, et attendent. C’est à peine s’ils remuent.
    - F…
    - Papa !
    Alphonse lève les yeux, et aperçoit une petite fille qui court vers eux. Cette petite fille, c’est la sienne. Des fragments de mémoires lui reviennent par centaines, par flashbacks successifs. Il s’appelle Alphonse Laurent, ex-officier supérieur de l’armée de la capitale, déchu de ses fonctions lors de la guerre pour désertion, et reprit vivant lors de l’ultime attaque contre la ville d’Imereil. Condamné à la prison à vie. Evadé dans l’espoir de mourir. Mais pas comme ça. Pas ici. Il hurle d’une voix forte le prénom de sa fille :
    - Noa ! Va-t’en !
    Des chargés de la sécurité se placent devant la fillette et l’attrapent. D’une poigne forte, ils l’emportent derrière les cordons de sécurité. La foule commence à s’agiter, et le chef de la garde interroge le Chancelier du regard. Celui-ci hoche la tête sans sourire. Alphonse suit le regard de sa fille jusqu’à ce qu’elle disparaisse à ses yeux. Il s’attarde par la suite sur chacun des visages de ses bourreaux. Il ne leur en veut pas. Il fut comme ça à une époque, lui aussi. Faible et manipulable.
    - Feu !
    La voix retentit et les fusils crépitent peu après. Dans un dernier regard d’adieu, Alphonse embrasse la foule, et se fixe sur le Chancelier Shard. Ses yeux se voilent peu à peu, masquant un défi muet. Noa, ayant échappé à ses geôliers, se précipite sur la place.
  • Les Âmes d'à Côté

    Espérance montait lentement les escaliers, marche après marche. Il n’avait jamais aimé les ascenseurs ; les cocons de métal lui contaient sans cesse des souvenirs amers qu’il préférait taire. Les paliers défilaient les uns après les autres, et Espérance continuait de les gravir, imperturbable. Au dehors, la nuit s’insinuait entre les gratte-ciels de la Capitale, et les lumières commençaient à s’allumer dans la pénombre. Au dernier étage, il s’arrêta contre la façade vitré et regarda dehors. L’immeuble où il se trouvait était le plus haut de la ville lorsqu’Espérance n’était qu’un enfant. S’il était aujourd’hui dépassé par d’autres, il restait un des plus élevés. Le ciel était partout au dehors. On ne pouvait distinguer les étoiles des lumières artificielles. C’était un spectacle dont il avait souvent rêvé, lorsqu’enfant, il regardait au loin les barres vitrées qui se lançaient à l’assaut du ciel. Il se détacha presqu’à regret de la baie vitrée, et entama les dernières marches jusqu’au sommet. D’une main, il poussa la porte.

    - Tu es en retard, Espérance…

    La voix était vide de jugement. Elle n’énonçait que la vérité. Espérance sourit.

    - Tu as déjà bien de la chance que je me sois souvenu du jour, après tant d’années. Combien de temps cela fait-il, Nuit ? Dix ans ?
    - Tout juste. Il y a bien longtemps qu’on ne m’avait pas appelé Nuit…

    Espérance sourit de nouveau. Dix ans s’étaient écoulés depuis leur séparation brutale. Dix ans… Tant de chose étaient arrivées, tant de choses qui les avaient différenciés.

    - Où sont les autres ?

    - Quels autres ? répondit Nuit.

    - Les dernières années de la vie me sont particulièrement obscures, rétorqua Espérance, mais je me souviens au moins de ça. Où sont… ?
    - Morts, le devança Nuit. Tous. Des quinze que nous étions avant qu’ils ne nous séparent, il ne reste plus que nous.

    Espérance accusa le coup. Il ne s’attendait pas à tous les revoir cette nuit, mais il n’avait jamais pensé qu’il pût déjà les avoir perdus. Il s’avança jusqu’au parapet qui surplombait le vide et s’y accouda. Il cherchait de l’air. Les rafales qui avaient dernièrement touché la Capitale avaient également nettoyé ses rues souillées. L’air y était désormais respirable. Pour un temps.

    - Je fais leur deuil depuis cinq ans, Espérance. Et depuis le jour où je le sais, j’ai juré de les venger.
    - Tu ne le peux. La Capitale te brisera avant même que tu ne tentes quelque chose.

    - Ce n’était pas ta pensée, il y a dix ans.

    - Le monde change, moi aussi.

    - Ça aussi tu ne l’aurais jamais dit, répliqua Nuit en se plaçant aux côtés Espérance. Les deux hommes regardaient les étoiles briller dans le noir. Il y a dix ans, reprit Nuit, nous avons fait deux serments. Le premier était de nous retrouver ici, le dix octobre vingt-et-un.
    - Et le deuxième ?

    - Tu ne t’en souviens pas. Ce n’était pas une question, Nuit le savait parfaitement.

    - Non.

    - Je ne peux te le révéler alors. Cela fait partie du serment : « Ne jamais rien dire à qui ne le sait déjà ».
    - Tu es pourtant certain de mon identité.

    - Espérance tu es, Espérance tu restes. Mais de celui que j’ai connu, il n’y a plus en toi que quelques fragments.

    Le silence s’appesantit sur les deux amis. Ils continuaient de fixer le ciel mais sans plus échanger de paroles. Nuit reprit le dialogue au bout de quelques minutes.

    - Qu’as-tu fait de ta mémoire ?

    - C’est à moi que tu le demandes ? répondit cyniquement Espérance. Je n’en sais rien, reprit-il plus sérieux. Ces dix dernières années sont couvertes de larges tâches noires. Il y a quelques temps, j’ai eu la soudaine impression de sortir d’un long rêve - ou plutôt d’un cauchemar. Rien n’a pourtant changé. Juste l’impression que tout est trouble désormais. J’ai simplement la seule certitude qu’avant le jour où ils nous ont pris, tout est vrai. Après cela, c’est plus délicat.

    C’était un vieux terrain vague, encadré par des façades en briques rouges. De l’autre côté, des usines en ruine, détruites lors des bombardements et jamais reconstruites. Des trous béaient dans certaines façades, exposant leur sombre intérieur au soleil de plomb. De temps en temps, un bout de bâtiment lâchait prise et s’écroulait avec fracas sur le sol, soulevant un nuage de poussière sèche. Il y a dix ans de ça, avant la guerre et son lot d’horreurs, les enfants de l’époque venaient déjà se retrouver ici. Quand on les interroge aujourd’hui, ils ferment les yeux et se souviennent. C’était un joli parc, avant. Une fontaine y faisait même jaillir de l’eau. Il y avait des arbres, de l’herbe, des chemins de sable. Quand ils rouvrent les yeux, les gosses leur demandent, avec leurs gros yeux candides : « Dis, c’est quoi un arbre ? » ; et pour seule réponse, ils voient les adultes de maintenant ouvrir sur eux des yeux baignés de larmes.

    Le parc n’est plus qu’une déchetterie oubliée à présent. Des enfants viennent y jouer pourtant, et restent là du coucher au lever du soleil, dans la poussière ocre qui jalonne l’endroit. A certains endroits, signe d’un espoir oublié ou trop méconnu, mouvement de révolte silencieux, on peut voir inscrit « Liberté ! » à la peinture blanche sur les murs. On avait beau leur interdire d’y jouer, rien n’aurait pu empêcher ces marmots braillards, ces anges issus de la misère, de venir s’amuser au milieu des carcasses de ferrailles ardentes et des maigres chardons qui poussaient là. Ils viennent tous des taudis qui s’entassent à côté, à quelque pas. Leur terrain de jeu aurait paru bien triste pour qui n’y était jamais venu, mais pour eux, c’était l’échappatoire qui leur donnait une raison d’espérer. Car avec toutes les précautions possibles, en montant sur les toits de tôle au crépuscule, on aperçoit dans les yeux des enfants les lumières de la Capitale qui scintillent dans le lointain.

    En journée, les parties de cache-cache succédaient aux matchs de foot amateur. Ils avaient réussi, un jour, à dénicher un vieux ballon, coincé sous une voiture. Après l’avoir rafistolé et regonfler vaille que vaille, ils ont commencé à jouer, comme ça. Il aurait fallu les entendre, ces gosses, qui s’élançaient derrière le ballon en riant et qui mettaient toute leur force et toute leur adresse à essayer de le faire rentrer entre deux bouts de bois plantés dans le sol. Il n’y avait ni limites de temps, ni règles compliqués. De tous les matchs qui se sont disputés, il n’y a jamais eu de perdant, ni de gagnant. Seulement des parties remises au lendemain. Et encore au lendemain.

    Lorsque la nuit tombait sur le petit groupe, le rituel voulait qu’on se rassemble au milieu du terrain de football. De là, on cherchait de quoi faire brûler un petit feu. Les flammes claires s’élevaient alors dans le ciel, et elles coloraient de rouge, d’orange et de jaunes les bouilles qui se tenaient debout tout autour, les mains tendues vers la chaleur. Et ils restaient là, à attendre que le sommeil vienne, ou bien que les étoiles tombent du ciel. Un vieux radiocassette solaire à leur côté pulsait quelques mélodies. Lorsque certains commençaient à bailler, ils s’excusaient avec un sourire et rentraient prestement chez eux, avec la certitude que demain, ils se retrouveraient et que la vie continuerait. Mais ils se l’étaient juré : un jour, tous ceux qui sont autour de ce feu se retrouveront sur les hauts immeubles vitrés de la Capitale, et échangeant un ultime regard, ils partiront refaire leur vie.

    Aucun d’eux n’avait de nom ; c’était une denrée rare et trop précieuse pour des miséreux pour qu’ils puissent la dévoiler, même à leurs propres frères. Ils ne se connaissaient que sous un pseudonyme onirique et révélateur, qu’ils avaient choisi en entrant dans le cercle du feu. Un vieux livre écrit en langue ancienne avait été lancé là, et les inscriptions sur la couverture indiquaient un « Dictionnaire », où il manquait certaines sections de lettres. Qu’à cela ne tienne ! Il y avait assez de mots illustrés pour que tous puisse choisir celui qui symboliserait leur esprit. Ils n’en comprenaient pas le sens, et n’en éprouvaient pas le besoin. Il ne restait guère d’images encore vivantes ou libres aujourd’hui ; la plupart avaient disparu pendant la guerre, englouties par la spirale de rage qui avait enflammé le pays.
  • Kaitse et Noa

    Le feu de camp finissait de se consumer, et il flottait dans l’air une odeur de brûlé. Des trois bûches placées la veille, il ne restait que des charbons noircis et quelques braises. Kaitse, assit près du foyer, en saisit une délicatement avec sa main, et à la fois surpris et heureux de la douce chaleur de celle-ci, la fit jouer entre ses phalanges. Un sourire s’étira difficilement sur son visage.
    - Kaaaaaiste, gronda-t-il joyeusement.
    - Qu’as-tu trouvé encore ? lui demanda une voix douce.
    - Kaaaaaiste, répondit l’intéressé. D’un tour de main, il fit apparaitre au creux de sa paume la braise encore rougeoyante, et la présenta à son interlocutrice.
    - Tu devrais la reposer, tu vas te brûler.
    - Kaaaaaiste.
    - A ta guise, mais je t’aurais prévenu.
    A contrecœur, Kaiste remit la braise au milieu des autres, et se releva. Un éclat miroitant attira son regard dans les fourrés, et ayant complètement oublié la braise, il se dirigea vers une fougère épaisse. Une goutte de rosée matinale luisait sur une ses feuilles, et Kaiste resta posté là à l’observer, affichant le même air béat que précédemment. Quelque temps plus tard, sa compagne de voyage, ayant rangé puis emballé le camp, l’appela doucement :
    - Kaiste, il est temps de repartir.
    - Kaaaaaiste. Sa voix tintait comme si elle était pleine de sanglots.
    - Il y en aura d’autres sur le chemin. Aller, viens !
    Kaiste fit demi-tour, et se laissa accrocher sur son dos leur matériel. Après quoi, il aida son ami à s’installer sur son épaule gauche. Kaiste était d’une force herculéenne qu’il mettait sans discuter au service de sa protégée. Il était qui plus est d’une carrure impressionnante, et de fait ils avaient rarement d’ennuis. Noa, elle, était plutôt fluette, mais suffisamment débrouillarde et intelligente pour compenser les défauts de Kaitse.
    Leur association était au premier abord sidérante ; et même pour ceux qui les connaissaient, la vision d’une petite fille de dix ans avec ce monstre de métal possiblement destructeur avait de quoi alimenter de nombreuses questions.
  • Nouvelles oniriques

    Les feuilles voltigeaient dans les airs à la moindre invitation du vent, même la plus hésitante qui fut. Leur dance passionnée les portait loin, si loin de leurs arbres-monde ; si loin de leurs attaches terrestres désormais brisées. Elle n’était plus qu’éphémères créatures qui répondaient du seul nom du vent, libres de chaînes. Mais cette mélodie éperdue qui les agitait les menait inexorablement vers un sol déjà tapissé d’ocre et de pourpre. Qu’importe, ce tendre bercement était l’enjeu de toute une vie, une extase sans pareille qui s’offrait à elles.

    Un petit garçon était accoudé au pont de bois qui enjambait le canal. Il regardait passer les feuilles fanées qui glissaient au-dessus de l’eau claire. Dans son esprit, elles partaient rejoindre leurs amants, loin sur l’océan vide d’horizon qui les attendait, des milles et des milles au-delà. Une danseuse, plus hardie que les autres, passa devant ses yeux pâles. Il tendit la main comme par réflexe et la cueillit au vol. Qu’elle était belle ! A travers elle, le soleil du matin éclairait de reflets orange le visage enfantin. Celui-ci ouvrit la main, et souffla doucement sur son trésor. La feuille décolla et s’en fut, continuant son ballet gracieux. L’enfant mis sa main au-dessus de ses yeux, et lui murmura une bonne continuation à mesure qu’elle se perdait dans le nombre qui descendait des arbres, le long du canal.

    Il reprit sa contemplation silencieuse, s’étonnant parfois d’un tourbillon de nacre qui descendait le ruisseau de concert avec les danseuses. Mais à la vérité, son esprit était ailleurs. Il pensait à avant, lorsqu’elle était encore là. Il ne l’avait aperçue qu’en de rares occasions, mais jamais il ne l’avait oubliée. La première fois, c’était un matin d’automne, comme celui-ci. Il se souvenait avoir croisé ses yeux au travers des arbres. Et elle lui avait rendu son regard, à lui, l’étranger rêveur d’étoile dont personne ne parlait jamais. Plusieurs fois, il avait essayé de la revoir. Plusieurs fois, il s’était heurté au mur d’indifférence qui le séparait des autres. Il n’était pas d’ici. Cela semblait gravé sur son front.
    Alors, leurs rares rencontres s’étaient faites à la dérobée. Elles ne duraient jamais plus longtemps qu’un battement de cil qui détourne un regard. Mais chacune en appelait irrésistiblement une suivante. Ces espaces hors du temps semblaient presque dus au hasard, des événements qui s’assemblent et amènent la rencontre à se produire. Un puzzle à taille humaine.
    - Tante, tante ! Regarde ce que je sais faire !
    Le petit enfant blond était tout à sa joie. Son oncle avait installé une balançoire sur le grand chêne qui poussait au milieu de la cour, et il ne se lassait pas d’aller et venir sur celle-ci. Il avait l’impression, parfois, qu’en allant très haut, il n’était qu’à deux doigts de toucher le ciel.
    - Bravo Morphée ! Mais viens, rentre à la maison, il se fait tard.
    - J’arrive, encore un tour !
    Il n’était pas rare qu’il faille retourner le chercher lorsque le repas était près. Et le lendemain matin, on le voyait jouer, encore et toujours, remplissant la petite ferme d’éclats de rire enfantins.

    Ce fut peu avant ses dix ans que sa tante tomba malade. La fatigue la gagna peu à peu, et puis elle s’endormit pour ne plus se réveiller, un sourire figé sur ses lèvres. Son corps semblait être entré dans une phase d’hibernation, et bien qu’elle ne s’alimenta pas, son cœur continua de battre, et sa poitrine se soulevait et redescendait au rythme calme de sa respiration. Elle était victime du Rêve. C’était une maladie déjà connu depuis de longues années. Elle frappait là où elle voulait, sans aucune distinction d’âge, de sexe, ni de condition sociale. Plusieurs millions de personnes étaient ainsi devenus des Rêveurs, à l’horreur de leurs proches. Car si le malade ne mourrait pas, il était voué à rester allongé et souriant. Les scientifiques s’arrachaient les cheveux à essayer de contrer le Rêve, sans résultats. L’épidémie onirique progressait lentement, mais sûrement.

    Le soir, Morphée laissa seul son oncle, au chevet de sa femme. Sur la pointe des pieds, il sorti dans la cours et marcha en direction de sa balançoire. Elle oscillait doucement, bercée par le vent de la nuit. Morphée pris place et se balança. Mais il ne parvenait pas à se hisser en haut. Il n’en avait plus la force. Ses pieds raclaient le sol à chaque fois qu’il retournait en arrière. Pourtant, les étoiles qui brillaient dans le ciel l’attiraient.

    Le monde n’est plus qu’un vaste désert. Des pôles à l’équateur, partout où le regard des hommes se porte, leurs yeux n’y voient plus que des gravillons jaunes et bruns transportés par les vents, formants des dunes lorsqu’un agrégat retient les suivants. Des arbres pétrifiés projetant une ombre grise sous un soleil de plomb achèvent le spectacle. Le sable a envahi depuis des générations et des générations la planète, grignotant petit à petit nos ressources, sans que, plus occupée à se battre pour ce qu’il restait plutôt qu’à endiguer le mal, notre espèce ne puisse rien y faire. Je suis Andersen Al-Atisbar, et là où je vis, cela fait une vie d’homme que la pluie n’est plus tombée.

    Que dire d’autre de moi ? Je ne suis ni riche ni puissant, et de l’aube au crépuscule, je scrute l’horizon, comme mon rôle de Guetteur me l’assigne. C’est une ancienne tradition dans ma famille. Mon père l’a été, comme son père avant lui, et ce, jusqu’au commencement des derniers jours. En suis-je fier ? Oui, je crois. Je me tiens en tailleur sur la dune qui surplombe mon village. Un keffieh monochrome, que recouvre un jingasa tressé d’osier, est enroulé autour de ma tête et remonté jusqu’à mes yeux. Le soleil tape, mais la maigre épaisseur de tissu suffit à dévier ses coups. Mes yeux azurins vont et viennent d’une dune à l’autre, sans trouver de point qui ne puisse retenir mon attention. Que dois-je guetter ? C’est une question à laquelle mes aïeux ont réfléchi. C’est d’ailleurs là-haut disait mon paternel, perché sur une colline sableuse, qu’il fait le plus calme pour y penser. Chaque jour, je guette. Chaque jour, je m’interroge. Chaque jour, j’apprends.

    On me hèle derrière mon dos. Je tourne la tête et je vois ma sœur, qui entre nos habitations de sable dur, me fait signe, avant de repartir vers le foyer. Je me replonge un instant dans la contemplation muette du lointain, mais n’y trouvant plus d’intérêt, je me relève et tourne le dos aux paysages monotones. En face de moi, immense pylône d’acier, ce qui maintient tous en vie. Un puits qui pompe chaque jour, inlassablement, de quoi assurer notre survie, directement dans l’Aqüífero de Gamà, à plusieurs centaines de mètres sous mes pieds. La structure en elle-même date d’avant l’Extinction, c’est-à-dire de plusieurs siècles, si j’en crois les anciens. J’ai toujours éprouvé de curieuses sensations en le regardant. Un mélange de fascination mêlée d’une crainte sourde. Ma vie, ainsi que celle de tous les hommes et femmes en contrebas, ne dépend que du bon vouloir de cette machine. Est-ce sage ? Malgré tout, le puits fonctionne toujours. Mais nul ne peut dire si demain il en sera ainsi.

    Un autre appel depuis le village m’arrache une fois de plus à mes pensées. Je dévale pour de bon les pentes triakontagoniales, laissant une trainée poussiéreuse derrière moi. Je glisse soudainement, et mon avant-bras entre en contact avec le sable brûlant. Je le dégage rapidement en jurant intérieurement. J’avais oublié depuis trop longtemps sa morsure. Le paysage tout autour n’est qu’un immense brasero. Sauf la nuit, où il se transforme en banquise polaire. Quand le soleil bascule de l’autre côté de l’horizon, des vents terribles se lèvent aux sommets des dunes, et criblent les imprudents de sable, tout en n’ayant de cesse de changer les paysages, avant de mourir aux premières lueurs de l’aube.

    Je termine lentement la descente de la dune. Ici, le sol est plus stable. En creusant un peu, on peut y trouve du grès, et une fois extrait, il sert à bâtir nos maisons. Mon village est au fond d’une cuvette. Nous avons beaucoup de chances, car cela nous préserve des tempêtes tout comme de la mouvance des dunes, et il n’y a guère le matin que quelques millimètres de sable devant nos maisons. La guelta un peu plus loin, sûrement alimentée par un défaut de l’Aqüìfero, nous aide à maintenir un semblant de culture.
  • Monde d'Hélias

    - C’est fini…

    C’est ce que semble entendre Jahl. Le sang bat sourdement à ses tempes, son esprit émerge lentement des brumes. La voix semble si loin, comme un murmure porté par le vent. Peut-être parce qu’il ne veut pas l’entendre. Parce qu’il ne veut pas savoir, mais qu’au fond de lui, l’instant est déjà gravé, depuis trop longtemps. Le roi s’affaiblissait depuis longtemps. Ses cheveux poivre et sel il y a quelque temps encore était presque tous blancs désormais. On ne reconnaissait plus sur son crâne la chevelure noire si caractéristique des Vautban. Ses mains avaient perdu de leur vigeur, il ne brandissait plus l’épée depuis plusieurs années. Jahl se relève péniblement, sans cesser de tenir en tremblant, serrée contre lui, la main encore tiède de son oncle. Le roi Chaz de Vautban n’est plus. Le grand roi d’Imereil est passé de l’autre côté. Le prêtre qui est venu assister à ses derniers instants afin de guider son esprit passe la main sur le visage strié de rides et ferme délicatement ses paupières.
    - C’est fini, répéte en écho le religieux. Puisse son âme trouver le repos parmi les astres.
    Jahl s’éloigne du lit, et ouvre la porte-fenêtre en verre qui donne sur l’extérieur, face au large. Le vent marin s’engouffre dans la pièce. Jahl s’accoude à la balustrade qui surplombe le vide, avec, en-dessous, les vagues qui s’écrasent avec fracas contre la roche. Le plus vieil ami de son père, et le plus proche, s’avance jusqu’à lui. Il prend la même attitude que Jahl, ses longs cheveux blancs flottant au vent.
    - Votre père était un grand homme, mon Prince, dit-il calmement. Par ce qu’il a fait, par son désir de justice inachevé.
    Il marque un temps, celui d’une vague qui claque un peu trop fort, puis reprend :
    - Une vieille devise dit « Le Roi est mort. Vive le Roi ! ». Personne n’est à l’abri de la mort avant que la Déesse n’en décide. C’est à vous de continuer son œuvre, mon Prince. Vous êtes le légitime roi d’Imereil désormais.
    - Il ne m’avait pas préparé à ça.
    - On ne peut préparer un homme à son destin, Prince-Héritier.
    Le vieil amiral tient entre ses mains la couronne d’Imereil, resplendissante. Elle est taillée dans le corail, en signe de son fier passé naval. Pietro de Dorst passe derrière son roi, et lui ceint, avec le plus grand respect, la tiare marine. Reculant de quelque pas, et malgré son grand âge, il s’agenouille. Une vague claque, et le marin prend une voix forte afin de couvrir le fracas :
    - Vive le roi Jahl !
    Le nouveau monarque se retourne difficilement, et articule lentement ses mots :
    - Laissez-moi seul avec mon oncle…
    Les gardes et l’amiral hochent silencieusement la tête et se retirent derrière les portes de bronze de la chambre du roi. Jahl fait face à la mer. Les nuages défilent au-dessus de sa tête, brebis égarées. Le soleil est en passe de se coucher, et ses reflets irisés à la surface des eaux éblouissent ses yeux, mais il ne détourne pas le regard. Ses yeux se sont déjà perdu dans l’immensité azure.
    Dreev Haertens sortit de l’académie d’Imereil, sur les hauteurs de la ville. Ses cours venaient de finir avec deux bonnes heures d’avance sur l’horaire prévu. Il n’avait pas la moindre idée de comment occuper sa fin d’après-midi. Il décida de flâner en ville, à la recherche de quelque chose d’intéressant. Le ciel se couvrait de nuages gris, et une légère pluie tombait sur la ville depuis le matin. Il regrettait le doux soleil d’Aout maintenant que s’avançait tranquillement l’automne vers les montagnes des Hétrandes, qui entouraient la ville. Désormais, Imereil recevait averse sur averse, et on n’annonçait pas d’amélioration avant la semaine prochaine. Déprimant. Dreev s’enfonça dans son manteau, bien décidé à n’en sortir que quand il serait dans une taverne, bien au chaud. Il s’arrêta devant la vitrine attirante d’une boutique, où étaient exposés les derniers modèles des armes à feu de Logh’Boros. On n’arrêtait pas le progrès. Ni les prix. Ils étaient exorbitants. Ce n’est pas avec ce qu’il touchait comme aide de Maître Hotaw, le professeur le plus réputé de l’académie, qu’il pourrait s’offrir ces armes-là. Délhana ! Vivement que ses années soient finies et qu’il est enfin le grade d’officier pour pouvoir commander son propre aéronef. Dépité, Dreev repris sa route. Une rafale s’engouffra par le col de sa veste et un frisson glacial lui courut le long de l’échine. Foutus nuages. Ça le déprimait plus qu’il ne l’aurait pensé.

    Il empruntait à présent les petites ruelles des quartiers de la ville. Il les préférait aux larges avenues grouillant de monde, où les habiles détrousseurs y faisaient leur loi. Les toits se rejoignaient au-dessus des rues ; on ne voyait pas le ciel dans les quartiers, à moins d’ouvrir une lucarne pour courir sur les tuiles. Aussi, les chaleureuses lumières des lanternes accrochées au mur le détendaient, en plus de réchauffer significativement l’atmosphère ambiante. Il déboucha sur le hall du marché. La structure était véritablement impressionnante vue du bas, avec ses immenses vitraux au deuxième étage, juste plus haut que les toits qui la cernait. Il y avait de tout dans les petits étals. C’était amusant que de s’y perdre. Au deuxième étage étaient des articles plus raffinés, plus adaptés à l’aristocratie locale. C’était là l’antre des bijoutiers, libraires, luthier, et d’autres marchands d’art. Diablement plus intéressant que l’étage inférieur. On n’entendait que vaguement la marée humaine qui chahutait plus bas. Attentif aux petites merveilles qui pourraient s’être glissées là, Dreev lorgna les marchandises disposées çà et là, s’arrêtant parfois pour admirer telle ou telle création. C’est finalement un instrument, apparemment lointain, qui eut raison de son argent. Tout de bois, avec de nombreuses cordes, sa caisse de résonance était joliment sculptée ; l’archet qui allait de pair avec l’instrument était habilement facturé. Et tout bien réfléchit, ce n’était pas si cher que ça. Il lui restait de quoi s’acheter une petite viennoiserie.

    Dreev fit un petit détour par le port avant de rentrer pour de bon. La majorité des bateaux étaient de simples esquifs de pêcheurs, plus ou moins gros. Il comptait tout de même quelques frégates Imeroises, et un grand galion Syndril semblait être amarré plus loin. Délhana ! Il était tout bonnement gigantesque celui-là. Dreev comptait plusieurs ponts garnis de canons. Nuls doutes qu’il était venu chercher quelque chose de valeur, et qu’il n’avait pas l’intention de se laisser couler lors de son retour. Dreev s’éloigna en tournant maintes fois la tête. Les Syndrils n’avaient pas volé leur titre de première puissance maritime du continent. La foule commençait à se densifier quelque peu au fur et à mesure qu’il avançait. Le soir tombait, chacun rentrait chez soi. Il dût plusieurs fois jouer des coudes pour débloquer un carrefour encombré.
    Il devait fuir. Vite. Où ? Il ne le savait pas encore. Loin de la splendeur de Gaejosk, c’était tout ce qu’il voulait.

    Il était en danger à l’intérieur de la ville état. La lettre de Maître Hotaw qu’il s’était efforcé de cacher juste avant son arrestation ne laissait aucun doute. Il y avait des traîtres à l’intérieur de la ville. Des traîtres hauts-placés. Le complot était déjà en route : l’arrestation des dirigeants de la ville pour la laisser paralysée une fois les escadrons de Cerres en vue des murailles. Le Haut-Conseil, Maître Hotaw, tous … En tant que pilote d’un des aéronefs de Gaejosk, cela faisait de lui, Dreev Haerten, une cible de choix.

    Il stoppa le flot de pensées qui convergeait sur lui et empaqueta ses affaires. Un long voyage l’attendait. Ses habits de voyage étaient déjà prêts. Sa tenue de vol, en fait, adaptée à des conditions climatiques rudes mais qui lui permettait de se mouvoir avez une certaine aisance. Elle était principalement constituée d’habit de laine et de fourrure recouvrant une armure de cuir. Ce n’était pas une armure faîte pour le combat. Des provisions pour une semaine devraient lui permettre de s’éloigner rapidement des zones habitées. Après, il devrait se débrouiller seul. Il décrocha sa carabine du mur, compta rapidement les minutions et vérifia la poudre, puis la mit en bandoulière. Il prit ses lunettes de visée et les fit passer autour de son cou. Une flamme habitait ses yeux, il était prêt.

    Il ouvrit la porte de son logement et s’apprêtait à dévaler l’escalier intérieur de son immeuble quand il entendit des éclats de voix en bas de l’immeuble. Dreev serra les dents. Manifestement, on venait le chercher. Il se pencha à la balustrade. Une balle le frôla de peu, le faisant immédiatement reculer.

    « Il est là-haut ! » cria-t-on plus bas.

    Maudits ! pensa Dreev. Il se précipita dans son appartement et verrouilla la porte. Il plaça devant celle-ci la lourde commode qui se trouvait dans la logia. L’entrée bloquée, il devait s’enfuir par les toits désormais. Il ouvrit la fenêtre. Il aurait du mal à sauter jusqu’au prochain immeuble, chargé comme il l’était. Il décrocha sa carabine et la lança sur le toit en face. On tambourinait déjà à sa porte. Dreev eu un regard en arrière et un accès de panique le submergea. Il devait faire vite. Seul son sac contenant ses vivres et divers objets utiles l’entravait. Il était trop lourd pour être lancé. Dreev se percha sur le bord de la fenêtre et ferma les yeux. Un bruit plus fort sur sa porte le fit revenir à la réalité. Il sauta.

    Il atterrit sur le toit au terme d’un saut qui lui parut interminable. Il ramassa sa carabine et couru. La milice était surement prévue désormais, et les toits allaient devenir un terrain dangereux. Des tireurs allaient être postés sur les bâtiments en hauteurs, prêts à tirer au moindre mouvement. Dreev accéléra et enjamba la distance qui le séparait de la bâtisse suivante. Il continua. Le changement de quartier allait bientôt avoir lieu, et là, il allait avoir besoin de beaucoup de chance. L’avenue qui séparait les deux quartiers n’avait rien des ruelles qu’il avait précédemment enjambées. Il distingua dans la nuit le prochain bâtiment : le marché couvert. Il analysa rapidement la situation. Le marché était un grand bâtiment composé d’une galerie inférieure pour les grandes expositions et d’une galerie supérieur pour les petits commerçants. C’était celle-là qu’il visait. Elle était bordée tout autour par une série de vitraux colorés représentant les scènes de vie quotidienne. Il fallait briser un de ces vitraux. Dreev compta les pas qui le séparaient du grand saut. Six. Cinq. Quatre. Il accéléra au maximum, faisant taire un point de côté qu’il sentait venir. Trois. Deux. Un. Il s’envola.

    Le vitrail explosa.

  • Eau pure, un bleu océan,
    Relief de vagues et d’écume,
    La frégate va de l’avant.
    Pas une once de brume.

    Claires eaux, brise marine,
    Le bateau prend le vent.
    Loin sont les forêts et collines.
    La mélancolie gagne les partisans.

    La terre est loin, Au-delà du soleil,
    Dit-on. La barre pointée vers le levant,
    La frégate avance sous l’azur du ciel.
    Toujours plus loin des terres de nos parents.​
  • Oublié au bout du monde,
    Au-delà des tempêtes du Nord,
    Au-delà des vagues vagabondes,
    Perdu entre bâbord et tribord.

    Sur un ilot rocheux, sans rive,
    L’exilé se tient là, face à l’horizon.
    Au loin une seule bouée dérive.
    Il passe ici sa vie à payer sa rançon.

    Sur une île, prisonnier de lui-même.
    L’exilé attends la fin, amer lendemain.
    Perdu au plus profond de l‘extrême,
    Les yeux rivés sur les fonds abyssins.​
  • Les anges sur la falaise déploient leurs ailes,
    Et s’élancent, pâle reflet blanc sur l’azur.
    Jonglant sur les vents du large, embruns de sel.
    Noir mystère d’un paysage du clair-obscur.

    Resté sur la rive, le poète murmure,
    Le Temps et le Destin s’arrêtent et l’écoutent.
    Une promesse s’échappe. Et réveille des blessures,
    Alors qu’au loin, gémissant, le vent s’éveille et chante.

    Le poète et son ombre font volte-face.
    La nuit arrive, et l’obscurité fait reine.
    Le poète, il rêve de souvenirs fugaces,
    Et de ses yeux jaillissent des larmes aériennes.​
  • J’aimerais me réveiller, sortir de ce rêve
    Ouvrir les yeux, regarder le monde de face.
    Sentir battre sous la paume d’une main la sève
    D'une inspiration qui pourra voir la préface.

    Je parcours toutes les lignes de cette feuille
    Touchant chacune des lettres de l’encre grise.
    Autour de moi, enroulée, la corde du treuil
    Qui me maintient en l’air, balloté par la bise.

    Noyé sous les avalanches, les torrents de mots
    Où à chaque pas, obligation faite d’un choix.
    Je tente de fuir cet assourdissant étau
    Où la poésie est enfermée par des lois.​
  • Sans cesse happé dans les méandres des questions,
    Capturé dans les filets de la création,
    Emprisonné dans ce monde, jusqu‘à mes jours,
    Reverrai-je encore une fois scintiller les tours?

    Ô Inspirations, vous qui voguez sur les flots,
    L’ultime courbe cache t’elle le blanc château?
    Où les seigneurs célestes sont tous réunis,
    Et où l’orgue jaillit, au doux son de la pluie…

    Sur le fleuve des tourments, de l’incertitude,
    Le doute se mêle à la belle solitude,
    Loin, très loin sur l’aval, près des grandes cascades,
    Le poète terminera-t-il sa ballade?​
  • J’entends le bruit sourd d’une plume qui martèle,
    Cette obscure passion qui envahit mes veines,
    Cet affreux désir qui me fait pousser des ailes,
    Et cet indigne amour qui toujours me ramène.

    J’emprunte des impasses des chemins maudits,
    Je me heurte aux mêmes portes fermées qu’hier,
    Et encore bloqué par les flammes les cendres la suie,
    En malheureux otage de mes propres Enfers.

    Obsession implacable qui en moi perdure,
    J’en ressens au fond de mon être les échos,
    Mais il n’existe aucun remède aucune cure,
    Pour venir à bout du mal des lettres et des mots.​
  • Je me jette du haut de ces grandes falaises
    Qui bordent la Manche le long des côtes anglaises.
    Je vois la plage qui se rapproche à vue d’œil
    Et les vagues qui se brisent sur les écueils.

    J’aperçois des centaines de galets qui roulent
    Sans cesse emportés par la mer et par la houle.
    Je déploie les bras pour enfin toucher la grève
    Me voici plongé dans le noir et dans mes rêves.
  • Je me noyais dans une flaque d’espérance
    A de l’eau claire se mêlaient tous mes sanglots.
    Alors que j’aillais mourir dans tant d’innocence
    On m’a violemment tiré la tête hors de l’eau.

    J’ai pu voir le monde dans toute sa splendeur
    Rien que quelques secondes avant de prendre peur.
    Des silhouettes passaient toutes de froideur
    Qui me laissaient là à genoux dans ma torpeur.

    J’ai cherché des yeux une source de lumière
    Las ! il n’y avait que ténèbres tout autour.
    Pas de sourires seulement des larmes amères
    Une aura d’indifférence aux alentours.

    On m’a tiré et obligé à me lever
    Avec le temps on fera de moi l’un des leur.
    Déjà dans mes yeux le regard d’un condamné
    Et si j’étais libre je me tuerais sur l’heure.​
  • Près de la fenêtre qui donne sur le monde,
    Je suis tel un marin pressé de voir la mer.
    En voguant sur le vent, parmi les vagues fières,
    Qui sait quels mystères je trouverais sur l’onde ?

    Les amarres se larguent à la faveur du soir,
    Le crépuscule rouge est entre les étoiles ;
    Voici le vent qui vient s’engouffrer dans ma voile.
    Mon navire ira là où mes yeux voudront voir.

    La campagne est toute bleuie grâce à la nuit,
    Les champs et les arbres sont tous teintés d’azur.
    Les prairies herbeuses sont mêlées aux cultures,
    De la même couleur que l’eau au fond d’un puits.

    Des lumières brillent comme autant de bouées,
    Indiquant les dangers, tous ces houleux récifs.
    Je leur fais mes adieux, craignant que mon esquif
    Ne soit de taille pour combattre la marée.

    Les nuées se rassemblent et éclatent en orage,
    Les tempêtes et les vagues emportent les maisons ;
    Les lames avec fracas s’abattent sur le pont.
    Pourtant brille la lune au-delà des nuages.

    Les éléments calmés me bercent sur les flots.
    Mon navire longe les galets de la grève,
    Ces immortels décors tels des morceaux de rêve !
    Voilà ce que je vois en regardant là-haut.

    Les embruns d’océan me font tourner la tête.
    J’ai mouillé dans la baie qui ici m’attendait,
    Bordée d’érables ciel et de sapin violets,
    Aux effluves boisées et aux senteurs secrètes.

    L’or s’est peint au-dessus des célestes montagnes
    Et coulant dans les vals ils sont devenus verts.
    Finies les vagues bleues, hélas, finie la mer !
    Il n’y a plus ici que des vertes campagnes.​
  • Intro

    Il y avait un sentier qui menait jusqu’au tertre
    Tout liseré de jaune, d’azur et de blanc.
    A la cime ni remous du temps ni du vent
    Car c’est bien ici que les rêves venaient naître.

    Dès le soir quelques lampadaires oubliés
    Leurs halos pâles sur le sol aimaient à peindre.
    Et jamais de toute la nuit n’allaient s’éteindre
    Eclairés par les seules lucioles égarées.

    Dans le ciel passaient des nuages de craie blanche
    Qui s’effaçaient loin au-dessus de la colline.
    Au sommet vivait ma danseuse en ballerine
    Eternelle balançoire faite de planches.​

Votre dévoué serviteur,

Nyctal​
 
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DeletedUser162

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Ca a l'air pas mal, j'ai lu ça en diagonale, j’essaierais de donner un avis plus poussé quand j'aurais plus de temps ;)
 
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DeletedUser

Guest
Ouais c'est plutôt long :D

Et j'avoue que l'affichage rend peut-être pas spécialement envie de lire, m'enfin, ça j'y peux rien.
 

DeletedUser162

Guest
Bravo, c'est vraiment bien écrit. Tu as un sens de la narration impeccable. Il y a bien parfois quelques descriptions confuses ou maladroite, mais c'est très succinct, la flemme de te sortir celle que j'ai repérées, trop long :D

Une phrase que j'ai particulièrement aimée : "Efficace et obéissant, c’est ainsi que sont les bons soldats. Les autres sont officiers, les pires sont généraux." Phrase choc qui tape dans le mille :p

Niveau dialogue, il n'y en a pas beaucoup, donc c'est difficile de te juger la-dessus, mais par exemple, je cite ton premier passage :
- Soldat ! crie soudain l’officier, le geôlier se rangeant aussitôt au garde à vous, son fusil heurtant maladroitement son épaule. Tu dis qu’il n’y a pas de trace d’effraction ?
Tu n'adoptes pas assez bien le parler militaire ici. Une injonction d'un supérieur hiérarchique donnerait plutôt "Pas de trace d'effraction ?" au lieu d'un long "tu dis que...".

Mais sinon, c'est cool, on est immergé dans ton univers que tu distilles à petites doses mais de façon pertinente. J'ai eu l'impression de lire, dans une mesure minime, La Route de McCarthy. On subit les événements quoi, pas de rebondissements à foison. Ce qui n'est pas un mal.
 

DeletedUser

Guest
Merci nyctal <3

Il y a eu des changements dans ce texte ? Parce que j'ai l'impression de ne pas avoir lu cette version. Ou bien, j'ai mal lu la première fois oO' Je crois t'avoir dit que j'aimais cet univers. Les corbeaux scoots, c'est kiffant :inlove:

J'ai aussi l'impression d'avoir déjà fait cette remarque mais bon :

Pour la première fois, l’impression d’avoir tué un non-coupable le prend

un innocent, non ?

Je me souviens de dialogues maladroits, ils ont disparu, tant mieux :$

Faudrait que tu t'y remettes, y a un filon et t'as l'écriture qui s'y adapte parfaitement. Je rejoins Kissi là-dessus. Impatient de lire une suite :)

Bises sur les fesses
 

DeletedUser24505

Guest
Je rejoins Kissi et DECA, j'ai bien aimé ton écrit, de part toutes les raisons précédemment citées car les deux morpions du dessus. Bravo à toi, et bon courage dans l'écriture d'une suite aussi intéressante que ce "Prologue" :)
 

DeletedUser

Guest
Merci à vous trois ! :kiss:

@Déca, non en fait, la partie avant les gros blocs de description date d'hier :D T'as pu me faire des remarques que j'ai pas incorporé oui, depuis le temps que j'ai pas repris ce récit ça se pourrait bien. Mais il me semble qu'on avait parlé de cette histoire de "non-coupable". Je préfère ce terme à "innocent", parce que la justice, dans un monde totalitaire et dictatorial, c'est un peu une notion floue. Aussi, c'est pas clairement explicité ici, mais Alphonse Laurent est l'ex-chef du mouvement d'opposition qui sévit depuis *regarde ses notes* dix-huit ans maintenant. Donc il est pas tout clean non plus !

@Kissi, en fait j'ai encore un peu du mal à définir Hémon Rogard. J'hésite encore entre le gros bourru et le raffiné. Comme dis plus haut pour Déca, la "première" partie date d'hier, et j'ai du mal avec les transitions. Il faudra surement que je reprenne un peu tout, mais j'ai envie d'un capitaine investi dans son job, un peu lourdaud et peut-être pas forcément très fin, cruel ça reste à définir, mais capable de comprendre qu'un membre de l'État-Major qui se déplace en personne pour un seul prisonnier c'est tout sauf normal. C'est outre la procédure. Un homme qui ne vit que pour un règlement qu'il fait appliquer, diantre, voilà !

Je connais pas la Route de McCarthy, j’essaierai de me le procurer !
 

DeletedUser162

Guest
Okay

J'ai pensé à la route uniquement par le paysage des Landes, ça n'a rien de commun sinon ^^
 

DeletedUser

Guest
J'ai pas encore eu le temps, ni le courage, de finir de lire :). Cependant ce que j'ai lu est très bon dans l'ensemble, qques petites imperfections par ci par là (fautes d'orthographe, chevauchement du passé et du présent), mais cela reste de très bonne facture :) !

Continue comme ça !
 

DeletedUser

Guest
Merci Batchel :inlove:

(le mélange passé-présent c'est mon pire défaut sur ce texte)
 

DeletedUser

Guest
C'est une gêne mineure :p, mais j'avoue que ça saute un peu aux yeux ! Pour ce genre de récit je privilégierais le passé :), mais un bon récit au présent peut être très cool aussi, peut-être plus dur à écrire par contre^^
 

DeletedUser

Guest
Je me permets un petit up avec l'ouverture d'une section dédiée aux poèmes :)

@Batchel, désolé de pas avoir répondu, j'ai oublié :D L'utilisation du présent est un challenge de ma part. Cela oblige a raconté l'histoire autrement !
 

DeletedUser

Guest
Ouep, mais écrire quelque chose qui tient la route est déjà quelque chose de difficile, pourquoi se rajouter des contraintes pesantes ?

Enfin pour moi, raconter une histoire au présent n'est pas du tout naturel, mais c'est peut-être différent pour toi ;).

Je lirais ce que tu as fait un peu plus tard, t'as rajouté beaucoup de choses :p
 

DeletedUser331

Guest
Ce n'est pas qu'une contrainte pesante, ça donne également certains avantages, tu te fais pas chier à conjuguer les temps par exemple, c'est plus simple de ce côté là, enfin ce n'est qu'un exemple parmi d'autres (même si ce qu'est plus compliqué c'est de vérifier qu'ils soient tous au présent, on a tendance à en mettre au passé simple etc.. :D).

C'est également un certain style sympathique :) Je trouve cela justement encore plus naturel, tu t'intègres plus rapidement au récit, tu es plus rapide à développer ton imagination puisque c'est justement censé progresser au présent ;)

Ouais sinon j'avoue Ny', du coup tu nous fournis de la matière à lire d'un seul coup toi :D
 

DeletedUser

Guest
J'ai lu les modifications que tu avais apporté au cycle de courbes.

" Ils ont l’apparence d’anges ailés. "
Des ailes ou des rotors ? :eek:

Des écrans géants auraient pu être installer pour augmenter la portée et l'impact de l'exécution. Diffusion en direct sur toutes les télés et chaînes (s'il existe plusieurs chaînes), aussi.

Exécution peu exotique, fade (un peloton d'exécution, ça n'a rien de frappant pour les mémoires).

Toujours complètement fan. Tu seras ma lecture de la semaine prochaine, et je met en pause mes stephen king pour toi :inlove:
 

DeletedUser

Guest
Je suis quelqu'un qui aime se rajouter des trucs inutiles pour être certain de ne jamais finir ses récits :D

La plupart des textes dans la première section ne sont pas très importants, je les ai surtout importés pour faire l'inventaire des récits liés que j'avais ^^ Il n'y en a pas un seul de fini d'ailleurs.

@Déca, c'est bien des anges ailés :D Du style le dernier que tu vois avant de crever, dans un grand flash de lumière blanche.
Le passage de l'exécution est à retravailler complètement. Pour ce qui est de la rediffusion, en fait ça dépend d'une seule question : est-ce que je surfuturise mon monde, style année 2600, ou bien est-ce que je prends une Russie alternative des années 80, en y mêlant un peu de SF et de Steampunk ? Je dois creuser.
 

DeletedUser

Guest
Hello !

Un p'tit truc écrit cette aprèm, je vous en fait pas le résumé, c'est assez parlant :

Le monde n’est plus qu’un vaste désert. Des pôles à l’équateur, partout où le regard des hommes se porte, leurs yeux n’y voient plus que des gravillons jaunes et bruns transportés par les vents, formants des dunes lorsqu’un agrégat retient les suivants. Des arbres pétrifiés projetant une ombre grise sous un soleil de plomb achèvent le spectacle. Le sable a envahi depuis des générations et des générations la planète, grignotant petit à petit nos ressources, sans que, plus occupée à se battre pour ce qu’il restait plutôt qu’à endiguer le mal, notre espèce ne puisse rien y faire. Je suis Andersen Al-Atisbar, et là où je vis, cela fait une vie d’homme que la pluie n’est plus tombée.

Que dire d’autre de moi ? Je ne suis ni riche ni puissant, et de l’aube au crépuscule, je scrute l’horizon, comme mon rôle de Guetteur me l’assigne. C’est une ancienne tradition dans ma famille. Mon père l’a été, comme son père avant lui, et ce, jusqu’au commencement des derniers jours. En suis-je fier ? Oui, je crois. Je me tiens en tailleur sur la dune qui surplombe mon village. Un keffieh monochrome, que recouvre un jingasa tressé d’osier, est enroulé autour de ma tête et remonté jusqu’à mes yeux. Le soleil tape, mais la maigre épaisseur de tissu suffit à dévier ses coups. Mes yeux azurins vont et viennent d’une dune à l’autre, sans trouver de point qui ne puisse retenir mon attention. Que dois-je guetter ? C’est une question à laquelle mes aïeux ont réfléchi. C’est d’ailleurs là-haut disait mon paternel, perché sur une colline sableuse, qu’il fait le plus calme pour y penser. Chaque jour, je guette. Chaque jour, je m’interroge. Chaque jour, j’apprends.

On me hèle derrière mon dos. Je tourne la tête et je vois ma sœur, qui entre nos habitations de sable dur, me fait signe, avant de repartir vers le foyer. Je me replonge un instant dans la contemplation muette du lointain, mais n’y trouvant plus d’intérêt, je me relève et tourne le dos aux paysages monotones. En face de moi, immense pylône d’acier, ce qui maintient tous en vie. Un puits qui pompe chaque jour, inlassablement, de quoi assurer notre survie, directement dans l’Aqüífero de Gamà, à plusieurs centaines de mètres sous mes pieds. La structure en elle-même date d’avant l’Extinction, c’est-à-dire de plusieurs siècles, si j’en crois les anciens. J’ai toujours éprouvé de curieuses sensations en le regardant. Un mélange de fascination mêlée d’une crainte sourde. Ma vie, ainsi que celle de tous les hommes et femmes en contrebas, ne dépend que du bon vouloir de cette machine. Est-ce sage ? Malgré tout, le puits fonctionne toujours. Mais nul ne peut dire si demain il en sera ainsi.

Un autre appel depuis le village m’arrache une fois de plus à mes pensées. Je dévale pour de bon les pentes triakontagoniales, laissant une trainée poussiéreuse derrière moi. Je glisse soudainement, et mon avant-bras entre en contact avec le sable brûlant. Je le dégage rapidement en jurant intérieurement. J’avais oublié depuis trop longtemps sa morsure. Le paysage tout autour n’est qu’un immense brasero. Sauf la nuit, où il se transforme en banquise polaire. Quand le soleil bascule de l’autre côté de l’horizon, des vents terribles se lèvent aux sommets des dunes, et criblent les imprudents de sable, tout en n’ayant de cesse de changer les paysages, avant de mourir aux premières lueurs de l’aube.

Je termine lentement la descente de la dune. Ici, le sol est plus stable. En creusant un peu, on peut y trouve du grès, et une fois extrait, il sert à bâtir nos maisons. Mon village est au fond d’une cuvette. Nous avons beaucoup de chances, car cela nous préserve des tempêtes tout comme de la mouvance des dunes, et il n’y a guère le matin que quelques millimètres de sable devant nos maisons. La guelta un peu plus loin, sûrement alimentée par un défaut de l’Aqüìfero, nous aide à maintenir un semblant de culture.
 
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DeletedUser331

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C'est vraiment sympa comme petit texte ! J'aime bien le concept que tu étales ici, enrichie d'une belle écriture :)
 

DeletedUser

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Merci, Ô jeune et joli mage rouge (ça me rappelle Final Fantasy ça tient :D). J'ai MàJé un peut le truc, je l'enrichirai demain je pense !
 

DeletedUser

Guest
triakontagoniales

j'ai vraiment pas compris ce mot, google connaît pas, donc j'ai pensé à un néologisme, mais je vois vraiment pas ce qu'il pourrait signifier
après j'ai pensé qu'il pouvait faire référence à une région, mais nulle part tu parles de la région du triakontagone alors voilà, s'il te plaît explique moi


sinon ya quelques fautes par ci par là, mais c'est plutôt cool, j'aime bien l'idée
 
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