DeletedUser
Guest
Dame Noire
Dame Noire, village perdu au bout d’une route que personne n’emprunte plus depuis longtemps, d’une route oubliée, un endroit paisible, fait pour le repos. Mais, ceux qui se souviennent encore de ce lieu prétendent que chaque année, pendant une journée, le chaos et les forces du mal rôdent pour s’emparer des âmes égarées. Ce n’est peut-être qu’une légende, mais ce jour là dans le village, et ceci pendant 24 heures, nul ne sort de chez lui. Personne n’ose tenter le diable de peur d’être maudit pour l’éternité.
Le centre commercial de Dame Noire est une petite place autour de laquelle on trouve une boulangerie, une boucherie charcuterie, une boutique de fleurs et plantes diverses, une entreprise de pompes funèbres, un hôtel restaurant qui fait également bar, un garagiste, une droguerie et une échoppe de produits naturels. Maya, jeune herboriste (la seule et unique en France, car cette profession est censée ne plus exister), est la propriétaire de cette dernière. Elle tient ce petit commerce de sa mère, qui l’avait elle-même hérité de la sienne avant elle. Comme ses ancêtres l’ont toujours fait, elle se lève très tôt le matin, bien avant l’aurore, pour aller cueillir les plantes qui se ramassent quand la rosée les caresse : les pétales de roses qui feront des hydrolats parfumés que les femmes se passeront sur le visage comme lotions anti-rides et des huiles contre la couperose, du soucis, de la camomille, du millepertuis, toute une gamme de fleurs qui soignent le corps et l’âme, mieux que ne le feraient toutes les pharmacopées du monde. Puis, elle rentre chez elle et met sa cueillette à sécher dans un endroit sec. Avant de se rendre dans son magasin, elle attache ses longs cheveux sombres en une natte serrée qui lui donne un air plus sérieux et plus vieille (ce qui pour certains, veut également dire, plus responsable) et cache son ventre rond de future maman sous son ample blouse blanche. Elle rayonne de bonheur, offrant son sourire épanoui à ses clients ravis.
Aujourd’hui, ils se bousculent chez elle. Demain, c’est le 1er novembre, jour de mort où le Mal libéré vient frapper aux portes, hurlant, geignant, à la recherche d’âmes à dévorer, de corps à posséder, c’est le jour de la « petite mort », jour d’enfermement et de prières. Alors, ils viennent lui acheter des herbes à faire brûler, pour éloigner le mauvais œil, des huiles essentielles pour purifier leurs maisons, bref, ils viennent rechercher tout ce qui pourrait empêcher le Malin de pénétrer dans leurs demeures.
Ce matin là, Maya est encore plus heureuse que d’habitude, si c’est possible. Depuis quelques semaines, elle se trouvait fatiguée par cette fin de grossesse. Grâce à cette légende du village, elle va pouvoir se reposer pendant 24 heures, derrière ses volets clos, goûter au plaisir d’une journée à ne rien faire, dans les bras de son tendre époux. Elle sourit déjà en y pensant. Pour elle, ce jour redouté de tous sera un instant volé au paradis, dans leur nid douillet.
Mais en attendant, elle doit terminer cette journée. Elle a tout juste le temps de faire une petite pause à midi, pour grignoter un sandwich et s’asseoir une demi-heure sur une chaise, dans l’arrière-boutique. Déjà, l’après midi arrive, avec son flot de clients. Sur la porte de la boutique, la jeune femme a accroché une pancarte où il est écrit :
« Exceptionnellement, nous serons fermés, ce jour, à 16 heures – Merci de votre compréhension ».
Les derniers clients se précipitent vers 15 heures 30. A l’heure dite, dès qu’elle a fini de servir les uns et les autres, Maya referme la porte avec de grosses clés en cuivre et baisse le rideau de fer. Elle passe dans l’arrière boutique et retire sa blouse, qu’elle accroche au portant de fer forgé, libère sa chevelure qui en profite pour s’étaler sur ses épaules et s’écouler le long de son dos. La jeune femme aime bien ce lieu qui sent les huiles et les herbes séchées. Ici, elle a classé, comme d’autres l’ont fait avant elle, les plantes sur les étagères du mur sud, dans l’ordre alphabétique, et les huiles coté ouest. Tout est en ordre, d’une grande propreté. Satisfaite de son inspection, Maya se dirige vers le coin lavabo. Elle se lave les mains et jette un coup d’œil rapide sur son reflet que lui renvoie un miroir ovale accroché au mur blanc, peint à la chaux. Elle passe une brosse souple sur la masse noir et brillante qui encadre son visage et se sourit. Elle est belle. Ses grands yeux bleus contrastent avec sa peau dorée. Ses lèvres rouges et pulpeuses semblent gorgées de sang.
Enfin, elle se détourne et prend l’escalier qui monte vers son appartement, juste au dessus. Il va lui falloir encore aller dans les bois chercher des écorces, des racines, de petites plantes aux vertus miraculeuses, qu’elle triera demain, mais pour le moment, elle veut s’offrir une petite pose. Il n’est que 16 heures, elle a largement le temps. Arrivée chez elle, elle se dirige vers la cuisine pour se préparer un thé.
C’est à ce moment là qu’elle croit entendre les lattes de bois du parquet craquer. Elle tend l’oreille. Le bruit s’est arrêté. Elle pense avoir rêvé et attrape une tasse pour la remplir d’eau. Mais les bruits reprennent. Elle appelle, interrogative :
« Franck, c’est toi ? ! »
Personne ne répond. Mais les craquements continuent.
Elle repose sa tasse sur une table et cherche du regard quelque chose pour se protéger. Elle ne trouve rien d’autre qu’une fourchette et la prend, la tenant bien serrée dans sa main droite, comme une arme de défense. Elle ne sait pas si c’est l’arrivée du 1er novembre ou son état de femme enceinte qui la rend si sensible, irritable, vite angoissée, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle a peur. Elle voudrait se cacher, se faire toute petite, disparaître, mais dans son enfance, on lui a toujours répété qu’il faut savoir se battre et ne pas tourner le dos au danger, le regarder droit dans les yeux. Elle se sermonne intérieurement et part affronter l’inconnu. Elle s’avance, se dirigeant en fonction des craquements. Elle sort de la cuisine, emprunte le couloir qui la mène vers le salon. D’un coup d’œil rapide, elle inspecte la pièce. Son regard passe sur la bibliothèque remplie d’ouvrages divers, sur le canapé, la commode sur laquelle trône, comme dans chaque maison du village, un étrange sablier noir. Tout est à sa place. Il n’y a rien d’étrange ici ; personne ne semble s’y cacher. Elle regarde tout de même derrière les rideaux, qu’elle soulève d’un seul coup, prête à frapper l’intrus. Là encore, il n’y a que la fenêtre en face d’elle, et derrière la fenêtre, la rue principale de Dame Noire, avec son vieux réverbère d’un autre temps. Elle laisse retomber les rideaux et continue à chercher la source des craquements qui s’arrêtent et reprennent de façon irrégulière. Elle s’énerve de plus en plus, ses gestes deviennent plus rapides, moins précis. Sa respiration s’accélère. Elle sent que la panique tente de s’emparer d’elle. Pourtant elle résiste. Maintenant, les craquements semblent venir de sa chambre. Elle s’y rend, attend un instant derrière la porte, puis la pousse lentement, grimaçant en l’entendant grincer sinistrement. Mais là aussi, elle ne voit rien d’autre que son grand lit aux draps bien tirés, comme une invite au repos. Elle entre dans cette pièce qu’elle adore plus que toute autre. Les bruits se sont arrêtés. Elle tend l’oreille. Mais il n’y a vraiment plus rien. Alors elle se détend, elle laisse retomber sa main et pose la fourchette sur la table de nuit. Elle s’assied sur les draps blancs et murmure, en se caressant le ventre :
« Et bien, je crois qu’il serait temps que tu sortes, mon poussin. Ta maman en arrive à être si fatiguée qu’elle panique pour un … »
Elle n’a pas le temps de terminer sa phrase, qu’un poids gigantesque la plaque sur le lit. Elle voudrait hurler, mais sa gorge est bloquée. Elle ne peut plus rien faire, prisonnière de cette force qu’elle ne peut visualiser. La panique a gagné le combat qu’elle menait contre elle. Maya ne voit plus rien, n’entend plus rien. Seul compte son envie de vivre, son refus de mourir là, bêtement, attaquée par elle ne sait quel fou. Elle tente de se débattre, libère un bras et frappe, frappe, avec force, avec rage, avec tout le désespoir qui est en elle.
Soudain, une voix parvient à traverser son oreille pour arriver jusqu’à sa conscience :
« Aie ! Tu m’as fait mal ! »
Le poing de Maya, qui se préparait à frapper encore, s’arrête, comme frappé par la foudre en plein élan. Elle ouvre les yeux qu’elle avait gardés fermés et rencontre le regard boudeur de Franck.
La panique disparaît, en une fraction de seconde et laisse la place à la colère. Elle s’indigne :
« - Imbécile ! Tu m’as fait peur ! Pourquoi tu n’as pas répondu quand je t’ai appelé ? T’es cinglé où quoi. Tu as failli me faire mourir de frayeur. C’a va pas la tête ? Qu’est ce qui t’a pris ?
Il baisse les yeux, penaud, mais ne peut empêcher ses lèvres de sourire quand il répond :
- Désolé ma puce. Je ne voulais pas faire ça, promis. Mais quand j’ai entendu ta petite voix demander « c’est toi Franck ? », je n’ai pas pu résister. Je suis un imbécile. Tu as raison. Pardonnes-moi ! Je t’aime. »
à suivre .../...
Dernière édition par un modérateur: