« Cette année, Noël n’aura pas lieu. » La formule circulait déjà parmi les lutins qui, malgré leur acharnement et leur labeur durant les douze mois écoulés à imaginer et à fabriquer toute sorte de marionnettes, poupées, jeux de bois ou de construction, s’étaient réunis en cercle afin de discuter de ce triste événement qui s’annonçait inévitablement. La mère Noël, l’épouse du père Noël, était également présente et participait à ce débat. Elle était à l’image des lutins, c’est-à-dire les larmes aux yeux, inquiète, apeurée, effrayée et même terrorisée à l’idée que Noël pouvait disparaître.
« - Qu’allons-nous faire ? demanda-t-elle la voie émue.
- Noël doit exister ! dit alors le lutin Bertrand. Seul le père Noël peut conduire, grâce à la magie qu’il détient, les rennes volants. Nous devons alors le convaincre !
- Hélas, il n’a plus goût à rien, répondit la mère Noël. Il reste assis sur son gros fauteuil sur lequel ses yeux vides hésitent entre le feu brûlant de la cheminée et la neige glaçante qu’il regarde à travers la fenêtre.
- Mais, n’y aurait-il pas quelque chose afin qu’il retrouve son moral ?
- Malheureusement… je ne vois pas. À moins que…
- À moins que quoi ? interrompit le lutin Bertrand.
- Un jour, reprit la mère Noël, il me raconta avoir aperçu, alors qu’il effectuait sa tournée il y a un an de cela, un cadeau emballé qui lui était inconnu et qui était déjà sous un sapin. »
Les lutins furent alors stupéfaits car, comme nous le savons tous, seul le père Noël pouvait offrir des cadeaux à cette époque de l’année et seul le père Noël connaissait absolument tous les cadeaux des petits et des grands.
« - Mais… qu’était-ce ce cadeau ? dit alors le lutin Bertrand.
- Il ne l’a jamais su. Il contempla un moment ce cadeau, déposa les siens au pied du sapin, et repartit. Mais, il me dit qu’il n’avait jamais arrêté de penser à ce cadeau en se demandant ce qu’il y avait dedans.
- Nous devons alors retrouver ce cadeau et le lui apporter ! s’exclama alors le lutin Bertrand.
- Oui, je suppose… hélas, je ne sais pas où il est.
- J’irai alors le chercher et le trouver moi-même ! continua de s’exclamer le lutin Bertrand. »
Les autres lutins perçurent alors une lueur d’espoir nonobstant la tâche ardue qui s’annonçait pour le lutin Bertrand. Ce dernier enfila donc son manteau vert de velours et partit en direction du monde des humains.
Ce monde des humains était vaste et faisait environ mille kilomètres sur mille kilomètres, soit une superficie totale d’un million de kilomètres carrés. Les humains habitaient dans des villages plus ou moins grands, plus ou moins avancés. Certains d’entre eux étaient ainsi fortifiés afin, disaient les humains, de se défendre contre les barbares. En réalité, ces fortifications permettaient plutôt aux humains de se défendre contre d’autres humains. Les barbares, quant à eux, dont le nom n’était usité que de ceux qui ne l’étaient pas, vivaient paisiblement, malgré des pilleurs occasionnels, en attente d’un éventuel noble qui les convertiraient à leur foi. Le père Noël connaissait les différentes rivalités existantes mais n’en prenait pas compte dans la distribution des cadeaux, car le père Noël savait, qu’au fond, les humains et les barbares étaient bons.
Le lutin Bertrand avait conscience que son travail allait être difficile car il devrait aller dans les cinquante mille villages du monde. Il alla donc dans un premier village et demanda à voir le paladin qui y habitait. Il lui demanda si, il y a un an de cela, un cadeau eut pu être déposé au pied du sapin avant le 25 décembre. Le paladin lui répondit que non. Le lutin Bertrand s’en alla donc.
Le lutin Bertrand alla alors de village en village, posant à chaque fois la même question afin de savoir si, oui ou non, un cadeau eut pu être déposé au pied de leur sapin avant le 25 décembre de l’année précédente. Il rencontrait alors à chaque fois le paladin, et, s’il n’en existait aucun, il rencontrait alors un éclaireur, un cavalier léger ou un cavalier lourd. En effet, il savait que ces chevaliers parcouraient parfois de longues distances entre les villages et pouvaient donc détenir de précieuses informations.
Les villages défilaient devant les yeux du lutin Bertrand malgré le blizzard glacial qui pouvait emporter dans l’au-delà les gens les moins précautionneux sans manteau pour les couvrir. La neige, malgré sa beauté innocence et inoffensive, était d’une cruauté sans merci et ralentissait la course du lutin Bertrand. Mais, ce dernier, dont le souffle ralentissait à chaque village visité, continuait inlassablement toujours en encore sa route.
Un jour, alors qu’il sentait ses forces faiblir, le lutin Bertrand arriva à un village. Ce village semblait fort pauvre et les bâtisses délabrés n’étaient faites que de bois et de paille. Comme à son habitude, il demanda à voir le paladin. On lui répondit qu’il n’existait pas, dans ce village, de paladin. Il demanda alors à voir un éclaireur, un cavalier léger ou un cavalier lourd. On lui répondit qu’il n’en existait pas non plus. Fort embêté, il demanda s’il y avait un lancier, un porteur d’épée ou un guerrier à la hache. On lui répondit encore qu’il n’en existait pas non plus.
« Mais, qu’avez-vous donc ? lança le lutin Bertrand.
- Nous avons des fermiers.
- Et pourquoi n’avez-vous que des fermiers ? N’avez-vous donc pas peur des autres villages ?
- Oh que si, nous en avons peur, hélas. Nous voyons venir, tous les jours, nombre guerriers, portant hache ou montant des équidés, qui dévalisent toutes nos maigres ressources. Nous étions, il y a un peu plus d’un de cela, un village prospère et détenions même d’autres villages. Nos nobles étaient fabuleux et intelligents et voyageaient dans le vaste monde et conquéraient tous les villages à travers lesquels ils passaient. Nos guerriers étaient puissants et dévoués et dévastaient tous les villages dans lesquels ils arrivaient. Quant à nos mines de fer, carrières d’argile et camps de bois, ils abreuvaient nos villages de riches ressources inépuisables. Hélas, il y a un peu plus d’un an, quelques jours avant Noël, des armées de puissantes tribus dont nous n’avions jamais entendu parler vinrent. Et ce fut un désastre. Ces armées tuèrent tous nos guerriers, brûlèrent nos églises, notre académie et tous nos autres bâtiments. À la levée du jour, le village prospère n’était plus que ruines et désolation. Nos guerriers étaient tous morts mais nous remercions les dieux d’avoir épargné les plus faibles d’entre nous. Nous décidâmes donc d’offrir un modeste présent à celui qui, d’habitude, en donne au lieu d’en recevoir. »
À ces derniers mots, le lutin Bertrand sauta de surprise et répondit aussitôt :
« - Est-ce donc vous, qui, l’année dernière, avez déposé un cadeau au pied du sapin ?
- Oui, c’est nous.
- Merveilleux ! Merveilleux ! s’exclama joyeusement le lutin Bertrand.
- Mais, pourquoi est-ce si merveilleux ? demanda-t-on d’un ton interrogatif.
- Voyez-vous, je suis un lutin du père Noël et je suis à la recherche de ce cadeau afin de le lui apporter. L'avez-vous encore ?
- Oui, bien sûr. »
Les fermiers donnèrent alors le cadeau au lutin Bertrand. Ce dernier, malgré ses forces encore faiblissantes, retourna au repère du père Noël. Le voyage fut long et difficile. Le vent du Nord soufflait sur le visage du lutin et qui, en raison de sa maigreur, aurait pu être transporté dans les airs s’il n’avait pas, de temps à autres, arrêter sa course pour se mettre à l’abri d’un sapin. La neige tombait en gros flocons et arrivait à la hauteur des épaules du lutin Bertrand ralentissant encore plus la marche de ce dernier.
Puis, à la suite de longues journées de marche, le lutin Bertrand, fatigué et usé, arriva au repère du père Noël qui se trouve, dit-on, dans ces vastes contrées du Nord dont les coordonnées négatives avoisinent les centaines de milliers. Il frappa à la porte et la mère Noël lui ouvrit. Celle-ci agrandit grands les yeux et son sourire témoigna de son émotion que sa voix, sous le choc, ne pouvait offrir. Elle prit le cadeau des mains du lutin Bertrand et réussit à bafouiller un timide « merci ». Elle alla vite apporter le cadeau au père Noël. Ce dernier, toujours sur son gros canapé, aperçut instantanément l’objet qu’on lui apportait et se leva aussitôt. Il déballa le papier cadeau, ouvrit la boîte et vit, plié, un magnifique manteau rouge brodé de fil d’or. Il dit alors « merci, merci », et pleura de joie.
Le lutin Bertrand, resté sur le pas de la porte et ayant vu la scène, était également heureux d’avoir pu rendre le bonheur au père Noël. Mais, c’est, hélas, également en lutin heureux de son abnégation qu’il tomba de froid dans la neige et rejoignit alors les guerriers du village d’où provenait le cadeau. Il mourut, mais grâce à lui, Noël vécut.