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MACHINES VOLCANIQUES
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ET
TRAVAUX D’ORCHIDÉES

ou bien les aventures d'Eudes Bravanchier



Chapitre premier

" Il existait à l'origine un tas fumant, dérisoire résidu d'un monde passé, duquel coulait des laves polychromes. On savait qu'elles étaient laves car un beau jour d'été, un gaillard y avait mis son pied et jamais n'avait-il pu le retrouver, et on savait qu'elles étaient polychromes, parce qu'on avait rien à envier aux bons yeux des métropolitains. Trois fleuves de couleurs ardentes dévalaient de cette colline pour se précipiter vers le néant, cernant l'Île de trois cascades infinies ... "​


Eudes Bravanchier sentait l'ennui et la lassitude l'aiguiller vers l'échec. Sa plume se figea sur le parchemin étiolé puis s'effondra, comme asphyxiée. Son rachis tremblait encore quand un commando de pouces et d'index vint la briser tout à fait. Les doigts paraissaient tels des vétérans, brunis par le zénith et sillonnés de cicatrices. Ils se retirèrent de la table, la striant au passage de leurs longs ongles, et les paumes allèrent réconforter les genoux apeurés. Un geyser lambin de regrets amers traversa ce corps, le couvrant de sursauts vifs et de lumières d'horreur.

Des yeux d'Eudes gouttèrent trois icosaèdres* qui se répandirent pour former le même nombre de lames desquelles une infinité de spectres lui rendirent le visage chamarré. Ces larmes, fruit de la tristesse, constituaient un trampoline dont la joie pouvait user pour conquérir à nouveau la créature. Suffisait-il, pour ce faire, que ces rosaces colorées fussent aperçues dans un vulgaire miroir, mais c'était bien impossible. L'objet avait été naguère banni de ce logis, car l'écrivain ne voulait point finir à l'image de ses contemporains jusqu'aux plus sots et prosaïques : l'éleveur de son ego qui tôt ou tard ne répondrait plus à son domptage et avalerait les bras de son maître.

Aussi la substance molle de la tristesse, ce méthane invisible, avait à cœur de stagner dans ses veines fragiles et se gonflait parfois de gaz cousins - mélancolie ou chagrin - pour corrompre plus encore ses muscles, et pour rendre amorphe jusqu'à l'essence même de son âme.

On toqua très fort à la porte, c'était la manière d'Anselme pour s'annoncer, tant lui que sa brutalité. On eut dit les rugissements d'une haquebute en pétard. S'eut pour effet de faire chuter Eudes, dont le faible bras faillit céder sous son poids, et de l'effrayer plus encore. L'hercule entra sans attendre de réponse, déversant sur le parquet les miasmes liquides du déluge qui se jouait dehors. Il ôta son couvre-chef, un lourd képi noir, dévoilant sa faciès horrible qui semblait avoir été gratté avec une éponge métallique, démystifiant également ses andouillers majestueux et sa truffe vermille.

- C'est le sang des victimes de Pizarre qui nous retombe dessus, marmonna-t-il en pliant son imperméable pour le glisser sous sa coiffe. Les incas pleuvent ! C'est drôle ... Oh ! Mon frère, que fais-tu par terre ?​


Le géant se saisit, sans plus de cérémonie, de son parent par les aisselles pour le redresser sur son fauteuil. Sa tête ronde s'affaira toute entière à lui expliquer qu'il ne fallait pas prendre peur pour si peu, que ce n'était que lui, son modeste frère, qui revenait d'une éreintante journée de travail, non pas Cortez qui revenait des Amériques, et cela dans un détestable parler au ralenti, comme s'il revigorait un arriéré, sans s'étaler sur les multiples postillons qui bombardaient l'écrivain. L'haleine d'Anselme laissait penser que ses entrailles baignaient dans un cloaque ou bien étaient elles-mêmes quelques égouts. Ces références continuelles aux conquistadors possédaient ces mêmes effluves, caractérisées par sa diarrhée verbale, révélatrice de sa médiocrité intellectuelle.

Son regard délaissa son frère impassible pour cueillir la table. Celle-ci, comme un par-terre forestier, s'était jonchée de feuilles, créant des vallons, des cols et des falaises. Les documents les plus récents, c'était à dire les plus élevés, se conformaient à deux travaux qui évoluaient en parallèle vers un abandon futur : " Recherche sur la forme des sons - le do et les hélicoïdes, le fa et les ombelles " et " L'Île aux couleurs - nouvelle en trois parties ". Plein de mépris, Anselme grimaçait à mesure que ses yeux se perdaient dans ce fouillis incroyable, si bien que la rage lui monta comme toujours elle montait pour un rien chez ces hommes à l'alchimie sanguine très instable. Son revers se préparait, tendant en arrière, sous les yeux effarés d'Eudes.

L'alarme meugla brusquement dans les venelles de Brasaux, ce fut assez pour décontenancer cette brute et qu'il alla jeter un coup d'œil dehors. Il se hâta vers la porte mais un instinct ou des rumeurs lointaines l'amenèrent à seulement entrebâiller la porte. Bien lui en fit, un obus de la taille d'un homme moyen perfora la maison voisine avant d'exploser. Le feu, par boursouflures immenses, conquit tout le quartier pour finalement se contracter en son épicentre et déchargeait une puissante onde de choc.

Anselme, malgré sa constitution robuste, fut projeté dans les airs et il en fallut de bien peu pour qu'il ne se retrouva brisé contre le mur. C'eut été fait si sa main ne s'était hasardé à étreindre la poignée. Il y mit tellement de sa force que ses phalanges blêmirent. La table d'Eudes, par chance, se trouvait assez éloignée pour ne pas être soufflée, mais il n'en fut pas autant pour la paperasse qui se dispersa dans la pièce. Tout deux jetèrent dehors des regards inquiets, cherchant à discerner un pourquoi et un comment à travers les clameurs de la guerre et les émanations du proche incendie.​
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*icosaèdre : selon Platon, la structure de l'eau est icosaèdrique.


Eudes y renonça vite pour se dresser sur ses échasses de chairs pâles. Puis, aussi raidement qu'une machine, il entreprit la récolte de ses études. A ses yeux elles ne nourrissaient pas seulement la coquille vide de son existence, mais retenaient plutôt le dernier fil qui retenait son âme flétrie à la vie, quelques filaments enroulés qui ne brillaient bien que sous ses pupilles illuminées et non plus loin. Son «*frère*» ne savait conjuguer ces deux flux d'informations, et comme une nuée d'insectes nécrophages, la stupeur le saisit pour le décomposer en son intégralité. Tant le choc qu'il venait de recevoir de plein fouet, tant l'attitude de façade si impavide de son aîné n'augurait à ses sens rien de bon.

Paralysé, le rustre n'avait de cesse ces rauques respirations d'animal mourant, ainsi l'écrivain, à son tour surpris du comportement de son parent, laissa échapper un son aigu en le mirant à tout hasard en ramassant ses mornes pensées. Celui-ci pourvut à son réveil, ou au retour de cette malheureuse métamorphose. Anselme flaira aussitôt l'urine sous son froc et se défrusqua vivement, si contraint par la honte et le dégoût qu'il faillit choir plusieurs fois. On eut sans doute beaucoup ri à voir pareil orgueil surfait aplati de telle façon.

Dehors des escarmouches naissaient, la garde royale répliquant à l'assaillant, qui, lui, prenait déjà appui dans les faubourgs. Tout le monde fut taraudé par la même pensée, car si les murailles étaient dans un bien médiocre état, elles suffisaient en règle générale à retenir des semaines un ennemi ordinaire. Or il avait à peine fallu deux sabliers à celui-ci, ce qui ne consentit plus de doute sur la nature de l'attaquant et surtout sur leurs chances de le repousser.

Anselme, toujours nu, devait sortir défendre la ville, et si la pudeur le condamnait à demeurer chez lui, l'ardeur lui était revenue et se contenta pour lui du képi. Les violents haillons de la pluie giflèrent sa trogne et ses bois, mais ce fut à peine s'il se montra affecté. Colt au poing, sous les regards tantôt surpris, tantôt inquiets d'une foule éparse et apeurée qui affluaient vers le château, il se précipita à l'encontre de l'Ogre qui sévissait plus bas. Dans cette course saugrenue, on le prit pour quelque malade ou on accusa vivement les restrictions budgétaires du gouvernement. Des collègues, qui le devançaient ou trouvaient dans ses pas des hallucinations si réelles, le prirent à partie sur cette tenue restreinte. Il ne sut leur répondre que par de concis grognements, qui valaient au moins l'éloquence des silences de son «*frère*».

On put émettre quelque jugement, dans la hâte de ses pas, à cette silhouette d'albâtre qu'on apercevait de loin par les retentissants éclats bleutés du ciel en colère, ou de près, surgissant à travers le voile pluvieux. Cette grande goule qui haletait dans son galop, avec ses ramures dorés qui à chaque tempe s'élevaient et sa truffe large et molle comme un groin, ce monstre à la gueule carrée si elle ne fut arrondie par la bonhomie, aux mains épaisses et à l'architecture bestiale, cette veine de force naturelle et primaire, dévalait la pente comme un torrent démentiel. Dans son regard s'imprimait les motifs sacrés de la rage, de la celte antiquité chez le berserkr à la meurtrière période de l'hyper-capitalisme chez le pilote de zéro aux camionneurs radicaux, tous avait dans l’œil ce prisme de fureur, cette sphère de lumière vive, explosive et ondoyante.

Enfin, derrière les bâtiments délabrés, ces toitures rongées de flammes invincibles, face aux cris et au centre des morts, s'élevait une titanesque boule de carnes et de bronze, un affreux golem hybride grand de trois ou quatre étages. D'innombrables calibres hérissaient le bas métallique de son corps alors que son buste, mol et imberbe, coulaient par monceaux flasques, telle une lave paresseuse. Son goitre immense, fragmenté en mille, vibrait sous l'effet de ses hurlements. Mais ce n'était rien quand aux vagues épaisses et surnaturelles qui émanaient de sa gueule fournie de trop de crocs pour qu'on put en faire le compte. Il donnait tellement de sa féroce voix que les bâtiments vacillaient, que les pavés se délogeaient, les hommes ne tenaient alors ni debout ni couchés, ballottés frénétiquement entre sol et vol, de manière qu'au moment où l'un jouait de la gâchette, il n'était pas sûr d'atteindre sa cible mais encore moins de ne pas tuer un de ses comparses. Le tonnerre paraissait lui faire échos, comme si cet être, tout de suprématie, avait pu, par celle-ci, conclure un pacte avec les dieux et les retourner contre les créatures qu'ils avaient façonné. Plus assourdissant encore, ce qui pendait inactif et fumant au milieu-même de sa bedaine d'airain, et qui, lorsqu'il se dressait retentissait à l'égal d'un démon. Il y avait là une bouche de dragon, une bombarde digne de la masse de son propriétaire, qu'on sut partie à part entière de son corps.​
à suivre
 

DeletedUser162

Guest
J'aime beaucoup l'image :eek:

PS : Z'adooooooooooore les z'images !
 

DeletedUser162

Guest
Bon, je crois qu'on a le meilleur récit du forum d'un point de vue littéraire. On sent que chaque phrase est réfléchie et tournée de façon optimale (il n'y en a guère qu'une ou deux que j'ai trouvé maladroite, un record sur le forum). D'un point de vu vocabulaire, c'est le texte le plus riche du forum si on fait un ratio à la ligne. Après, on peut raisonner de façon inverse en disant que ça fait étalage. Mais le mérite principal est que c'est tellement bien écrit que ce vocabulaire passe globalement comme une lettre à la poste, devinant le sens de ces mots inconnus du commun des mortels (oui, j'avoue avoir appris des mots aujourd'hui).

Après au niveau du contenu, on reconnait toujours aussi bien ton univers poétique et absurde. On adhère ou pas. Tes derniers textes que j'ai lu étaient un peu en-deçà, mais ici on touche quelque chose d'intéressant. Sur un texte aussi court, c'est difficile de juger l'intrigue. Tu es doué pour les chutes et contrepied, aidé par ton univers absurde, mais chaque fois je me dis que l'intrigue est ton point faible (relatif). Je suis persuadé qu'il faut que tu fasses un texte beaucoup plus long dans la même veine. Je ne suis pas certains qu'on puisse accrocher à ce style dans un texte long, mais il faut essayer.
 
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DeletedUser24505

Guest
Bon, je crois qu'on a le meilleur récit du forum d'un point de vue littéraire. On sent que chaque phrase est réfléchie et tournée de façon optimale (il n'y en a guère qu'une ou deux que j'ai trouvé maladroite, un record sur le forum). D'un point de vu vocabulaire, c'est le texte le plus riche du forum si on fait un ratio à la ligne. Après, on peut raisonner de façon inverse en disant que ça fait étalage. Mais le mérite principal est que c'est tellement bien écrit que ce vocabulaire passe globalement comme une lettre à la poste, devinant le sens de ces mots inconnus du commun des mortels (oui, j'avoue avoir appris des mots aujourd'hui).

Après au niveau du contenu, on reconnait toujours aussi bien ton univers poétique et absurde. On adhère ou pas. Tes derniers textes que j'ai lu étaient un peu en-deçà, mais ici on touche quelque chose d'intéressant. Sur un texte aussi court, c'est difficile de juger l'intrigue. Tu es doué pour les chutes et contrepied, aidé par ton univers absurde, mais chaque fois je me dis que l'intrigue est ton point faible (relatif). Je suis persuadé qu'il faut que tu fasses un texte beaucoup plus long dans la même veine. Je ne suis pas certains qu'on puisse accrocher à ce style dans un texte long, mais il faut essayer.

Je crois qu'il ne me reste qu'a citer, et à rajouter que les notes de poésie que tu insères dans ton texte (les rimes frèquentes) donnent un air et une vitalité à ton texte qui est impressionnante. C'est d'un amateurisme professionnel !
 

DeletedUser

Guest
Je vous avouerai que je suis assez embarrassé avec ce texte, j'ai poussé la forme un peu loin en tentant le fond (ou l'intrigue) et je n'ai le courage de réécrire ce début pour en construire un plus épuré, allégé. Pourtant, le fond reste mon objectif et je m'y exerce désormais dans d'autres récits, en relâchant la forme sans pour autant frustrer ma soif. J'ai, à vrai dire, déjà produit pour une battle un texte plus intéressant au niveau du fond, que je suis en train de travailler pour en faire un projet plus long. J'espère pouvoir aboutir, et si l'envie d'écrire ne manque jamais, c'est bien la difficulté de se satisfaire qui bloque souvent. Maintenant je ne me décourage pas, l'enthousiasme est encore ancré.
 

DeletedUser

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Déca, t'es nul <3

J'peux pas continuer d'écrire des Courbes si j'ai pas des Lignes en face pour me motiver !
 

DeletedUser331

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Plus aucune activité, je ferme & archive. Pour demande de désarchivement, me contacter en privé. :angel:
 
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