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EN QUÊTE D'UNE FIN
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EN QUÊTE D'UNE FIN
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Le Capitaine Beaubois exultait. Au cœur de la lice, malgré son épuisement et ses multiples contusions, il levait tout sourire sa lance brisée. L'adversaire, étendu de tout son long, poussait d'affreuses quintes de toux et s'affairait laborieusement à reprendre possession de son corps. Le peuple alentour et la cour aux tribunes manifestaient par d'égales manières leur joie tonitruante et, pour leur plus grand plaisir, cette joute ne semblait pas vouloir s'achever. Doucement, le crépuscule s'amorça et moucheta le ciel de tâches sanglantes. Le chevalier encore en selle brillait tel un phare, ses plates de fer blanc détournant la puissance vacillante du soleil vers les yeux ravis de son public. Son destrier à la robe alezane paraissait porter un ange sur son dos, pourtant le sang qui baignait ses lèvres et couvrait ses frusques d'acier dénotait sévèrement.
Alors qu'il cabrait son cheval pour impressionner les jouvencelles, Beaubois faillit être désarçonné par le rugissement de la foule. Pour cause, à quelques pas de là, l'homme qu'il avait renversé se dressait à nouveau, pantelant et éreinté. Il ne prenait même pas la peine de soulever la pointe de son épée et semblait plutôt attendre qu'on l'achève dans les honneurs. Sa mine affligé faisait peine à voir, et on sentait sur son visage les dernières parcelles de fierté qui lui restaient s'animer pareilles à des étincelles furieuses. Comme on l'eût cru à la frontière de la mort, il fut d'autant plus surprenant qu'il se mit à marcher d'un pas las mais assuré vers sa Majesté, laissant sa lame labourer le sable. D'aucun avait pensé voir un tout autre dénouement, néanmoins si Sir Ancelin décevait, il ne déméritait pas dans la manifestation de ces dernières ressources.
Sa voix pénétra la tribune royale comme un poignard dans une gorge tendue. Il fit l'effet d'un spectre, soufflant sur eux un vent de surprise. Les clameurs empêchèrent à toutes autres personnes d'entendre ce qu'il hasardait vers eux, tant ses paroles s'apparentaient à des murmures. On eût dit qu'il remuait simplement les lèvres dans le vide. Aux regards pétrifiés de cette noble assistance, les spéculations se mirent à aller bon train jusqu'à ce que le roi, qui seul souriait, porte sa main à son sceptre et, après avoir encensé le courage de son interlocuteur, accède à sa requête. Au moment où le roi leva des caves de son être les mots qui subjugueraient la foule, Ancelin rabattit son regard sur Beaubois avec une vivacité déconcertante. C'eut la portée d'un fouet, qui par-delà son plastron, parvint à enserrer puis meurtrir sa confiance.
« Que le sang jaillisse et que la mort choisisse ! »
Ces mots se répercutèrent dans tout le corps du capitaine, gagnant en échos à chaque vivat exalté de la foule. Il tremblait, ça ne lui était plus arrivé depuis son premier combat. Le visage de son maître et père passa dans sa mémoire, ses traits trahissant nombre de regrets et d'espoirs avant de se muer en une vive colère, celle du jour où il lui avait annoncé son départ pour la capitale, celle d'un parent qui prit ses ambitions nouvelles pour une trahison. Il ne voulait pas avoir gravi toutes ses marches pour mourir pareillement, après les sacrifices qu'il avait accepté et les humiliations qu'il avait vécu. Pas ainsi, pas maintenant, se répéta-t-il. Le monde se réduisit aux yeux si perçants d'Ancelin. Bien que le bleu ait toujours eu un grand pouvoir d'incision dans l'assurance de Beaubois, ceux-là faisaient vibrer quelques anciens démons de son enfance et ce fut non sans appréhension qu'il dégaina sa lame et griffa les flancs de son cheval.
Ancelin avait entre-temps réclamé une toute autre arme, ainsi tenait-il désormais des deux mains un marteau de guerre. Ce détail décrocha un dernier sourire au capitaine, qui savait les difficultés de maniement d'un tel équipement et accéléra encore le galop de sa monture. Maintenant qu'il brandissait son acier, prêt à cueillir la tête de son rival, il ne se rendit compte que trop tard qu'il criait victoire un peu trop tôt. Le petit sir esquiva la charge et abattit son arme au passage sur le crâne du destrier. Mais l'élan était tel qu'il dût lâcher prise au risque d'être emporté. L'animal trépassa dans un dernier sursaut, plongeant son cavalier en arrière afin de mieux s'étendre sur lui. Alors que la bouche béante de la bête glissait un dernier soupir, Beaubois souffrait de son poids contre ses jambes brisées.
Il pestait, hurlait des insultes à Ancelin et gesticulait vainement pour s'extraire de l'emprise du cadavre. Rien à faire, il était paralysé. L'autre avait un ricanement coincé sur les lèvres. On lui apporta une nouvelle épée et il s'approcha avec prudence. Il saisit le poignet droit du beau chevalier, lut dans son regard une peur délicieuse et d'un mouvement brutal, lui moulut l'articulation. Après quoi, il desserra son étreinte et plaça la précieuse lame au creux de la paume obsolète. Il s'assura bien que le jeune homme ne comprenait rien. Puis, il le surprit.
Il commença par s'acharner sur son visage, tant adoré par les pucelles de la cour. Ses poings martelèrent chaque once de peau de façon à ce qu'il ne reste à la place qu'une bouillie de chairs dont il creva jusqu'aux yeux. Sa victime respirait encore très faiblement, aussi le saisit-il par les aisselles pour le traîner jusqu'au centre de la liste. Il eût peu de peine à l'extraire de la dépouille, et on en était à se demander s'il n'avait pas joué la comédie tout à l'heure. Il s'occupa ensuite d'arracher du cheval son marteau et finalement revint s'acharner contre le corps de Beaubois. Avec minutie et rage, il broya l'ensemble du torse de son adversaire avant que le Roi ne se lasse du spectacle et envoie ses hommes le maintenir.
Le peuple ne riait plus et tous portait sur lui des regards apeurés. Il avait l'allure d'un possédé. Sa tête et ses bras couverts de sang, ses yeux plus écarquillés que jamais et ce sourire édenté qu'ils semblaient pour la plupart redouter ; il ne lui manquait qu'une paire de cornes et le tableau eût été complet.