{Bibliothèque Piquante et Captivante - Kissi}

  • Auteur de la discussion DeletedUser162
  • Date de début

DeletedUser162

Guest
Bonjour tout le monde !

Suite à la nouvelle règlementation du sujet unique demandée aux écrivains, règlementation que je trouve assez mauvaise pour les écrits, si ce n'est absurde si je puis me permettre, je me mets malgré tout à jour dans un souci de soumission absolu à l'ordre établi. Rien de nouveau dedans.

Non mais sérieusement, au fil du temps, cette forme très carré d'un imaginaire nébuleux risque d'être parfaitement indigeste. Certes, on a déjà vu des recueils de poèmes et de nouvelles, mais a-t-on déjà vu des recueils de romans, de rôle play ou bien même de poèmes/nouvelles/romans/rôle play ? Bref, c'est une pensée que je vais qualifier... d'innovante. Mais aussi très certainement maladroite et mal pensée.

M'enfin bon, je ne conteste rien, ceci n'est qu'un bref aperçu d'une critique malavisée :)


Le Fabuleux recueil de PoNoRoLesBôRoToPlos​

Poèmes


La traversée du désert

Un grain.

De sable les dunes du désert sont faites.

De vert.

Pâles visages offerts au vent chaud, cherchant désespérément l'oasis.

Où me mène cette avalanche de quartz, si ce n'est dans un gisement de mica? Feldspath le saurait. Certitude.

Indécis. N'ayant que granit, je m'asphyxie sous un déluge de soleil. Ou me noie. Néant.

Noir. Le voile devant mes yeux cache la douleur. Pourtant, je souffre.

Ploc.

Une vive brûlure me saisit. Où? Le voile se déchire. Pire. Il m'aveugle. La douleur se fait jour. Où?

Mon bras.

Une goutte.

Je pleure?

Ploc.

Il pleut.

Encore. La souffrance. Laisse place à la joie. Enivrant. Mon cerveau ne sait plus réagir face à ce méli-mélo d'émotions. Enfin, je pleure. Sans larme. Je pleure. Douleur. Malheur. Fin.

L'ornithorynque

Ornicar.
Riez de ce nom. Mais pourquoi?
Non. Ne riez pas de ce nom. Et pourtant.
Y a bien de quoi rire.
Tenez.
Hermaphrodite. Est-ce drôle aussi?
Oui.
Riez.
Incarnation du ridicule,
N'ayant
Qu'
Un
E.


Note : La faute d'ornithorynque est volontaire ;)

Salaud d'égoïste!

Opium, et tu tombes dans les pommes.
Pavot, et tu tombes comme un blaireau.
Heineken, sterben?
Vodka, bam l'estomac! (prononcez -ak)

Désires à en finir.
Danses toute ton existence.
Dévores de tes yeux la beauté.
Donnes ta vie...

Mais ne meurs pas!

Marre!
Misère!
Malheur!
Maltraitance!

Donnes de ta personne, ou mieux, donnes de ton âme. Le choix n'est pas. Vis ou vis, mais vis.

Une Terre sans lumière

J'aime à penser que je suis seul
Sur cette Terre téraïeulle.
Mais il n'existe pas d'immensité
Sans humanité et bestialité.

Dans ce monde sans lumière,
Les flammes nous brûlent
Et nous couvrent d'immondes pustules.
Il nous faudrait un grand réverbère...

Mais trop cher...
Marchander avec rien est facile,
Payer avec ses biens est un poisson d'avril,
A moins que l'on t'éviscère.

Le monde est pauvre.
Pauvre parce que son existence est terne.
Terne parce que sur elle s'abat un fléau.
Un fléau qui se nomme Homme...

Une histoire commune

Une atmosphère pesante m'écrasait.
La lumière jaune pâle tamisait
Le goudron et ses infamies.
On aurait pu y faire de l'astronomie...
Je gerbe.
Merde!
Je suis pieds nus
Sur ce trottoir fort peu entretenu.
Comme tous les trottoirs
Où on y perd tout notre avoir.
Je ne me sens pas bien,
J'ai bu comme un bon plébéien.
Mais pourquoi suis-je dans la rue
Sans chaussures?
Ah oui...
J'y ai en plein dessus vomi
Mon coca (bien accompagné).

Une ballade

Alors que la nuit s'offre d'un noir sombre et sans étoiles, le canal nous rappelle à notre bon souvenir la voûte céleste. Pâles lumières incertaines, l'atmosphère est sur terre, pendant que l'Enfer se cache de façon obscène. Les bruits et sons des buissons fournit par un vent vêtu de feuilles aux courbes féminines bercent mon esprit. Capturé, hanté, puis libéré dans un relâchement d'un corps inconnu de ce flot de pensées. Enveloppe charnelle bien inutile, meurt de cette légère brise qui t'excise à ce monde cruel. Hébété, je vacille sous la hargne de la faucille, suppliant qu'elle m'épargne.
«*La mort n'est qu'un cycle. La vie m'amuse, mais il est temps que tu retournes à l'humus pour nourrir tes enfants.*»
Ébranlé, je me redresse malgré ma faiblesse. Branches et vent hurlent. Criez, mais je ne suis pas prêt.

Une vie de bougie

Une brise me souffle, folle flammèche qui lèche tes ailes. Mélangeant cire et esprit, je n'abdique point ma place dans mon coin où se rencontre de folichons tourbillons. Bien que résistant à la tempête dans une courbure d'esthète, je ne suis point loin de perdre ma tête. Goutte à goutte, le doute me saisit ; et si tout était fini ? Suant mon sang dans une infâme odeur d'encens et de peur, je m'arqueboute pour ne pas finir kaput. L'orange vacillant dans la fange du Gange, je dégringole de ma tour pour devenir aussi court qu'un gringalet. Grincheux après mes preux efforts, j'espère toujours des renforts pour un jour être encore plus fort.
Mais je vins à bout après un simple « pfiou »...

Souffrance de l'illusion

Il était une fois sur une colline verte
Un objet qui entraîna ma perte.
Il était une fois une époque
Où je devins une loque.

L'esquisse de mon histoire se dessine sur la colline.
Les traits sont d'aubépines,
Trahissant l'horreur latente
Dans laquelle je m'ensanglante.

Dans mon taillis d'épines écarlates
Volent les mouches.
Et la découverte me douche.
La bague de ma femme je constate.

Son reflet bleu du lapis-lazuli
M'entraîne au fin fond de la folie
Où, dans un étau de souffrance
Je renie le monde et son existence.

Souffle en moi un vent de colère
Qui écrase tout fourvoiement.
Je m'arrache une molaire
Pour libérer mes tourments.

L'éclat de la bague cachait
La dague
Plantée dans le cœur de ma femme.

Déliquescence ?

De la naissance à l'adolescence. Naissance n'est pas Abstinence. Ne nions pas la décadence du geste. Mais Naissance égale Ascendance égale Alliance? A moins que Naissance égale Défaillance égale Rupture?

Petite-Enfance demande Compétences et Indulgence, mais gare à Indolence et écoutons Vigilance. Petite-Enfance demande aussi la grosse Intendance, et donc Dépenses... Heureusement, Magnificence compense.

Arrive Pré-Adolescence, parfois surnommé Grande-Enfance. Au placard Surveillance et Omnipotence. Innocence aussi... Désobéissance accourt avec son ami Croissance et Défiance. Malgré les apparences reste Allégeance.

Ne parlons pas d'Adolescence et Arrogance, c'est la déchéance.

Enfin! Adulte!

L'eau

Malgré qu'elle soit fraîche, j'en ai la gorge sèche.
Malgré qu'elle soit douce, je tousse et me courrouce.
Fringante et innocente, elle me désoriente.
Et quand elle se dévoile, je vois trente-six étoile.

Mais près de son beau lit, je m'assoupis et rêve
Comme si c'était une trêve, adieu les belliqueux.
Son son est mélodieux, la voilà qu'elle m'achève.
S'enfonce en moi son glaive, ceci est mon seul vœux.

Dans sa robe turquoise, je suis admiratif.
Et si elle est sournoise, c'est que nous sommes fautifs.
Elle porte tous nos bateaux pour nous immondes pourceaux.

Elle est plate ou houleuse car c'est une grande boudeuse.
On l'aime ou la déteste lorsqu'elle se fait tueuse,
Déchaînant sa colère sous la force de ses flots.

Nouvelles et Novellas

Un mythe oublié


«Quelle que soit la quantité de vin ou d'hydromel que tu auras bu, un homme doit toujours se montrer digne et marcher droit»

Ce fut ainsi le précepte de Dionysos tout au long de sa vie. Je vais donc vous conter un mythe oublié. Le mythe de l'ascension de Dionysos au trône divin parmi le Panthéon de l'Olympe. Car cette histoire, plus qu'un mythe banal, nous dévoile la vrai nature de Dionysos, simple berger du Péloponnèse, fils de Diocléos. Cette histoire commence malheureusement d'une façon peu abordable, car peu reluisante pour les Dieux de l'Olympe.

C'était un soir d'été où le travail avait été des plus accablant sous un soleil de plomb. En l'absence de son père, Dionysos, du haut de ses vingts printemps, rentrait le troupeau dans le bergerie quand soudain, il entendit de bruyants meuglements.
Des meuglements dans une bergerie? Quelque chose ne tournait pas rond. Dionysos, svelte et courage, se précipita dans la bergerie avec son lourd bâton de bois. Ce qu'il y vit le stupéfia. Un taureau ailés en rut montait à califourchon sa sœur ainée, Aspasie. La colère succédait à la stupéfaction de cette découverte improbable. Armée de son seul bâton, il s'apprêtait à frapper le gigantesque taureau ailé, trop occupé à satisfaire ses pulsions, quand un grand fracas retentit, accompagné de hurlements à vous glacer le sang.

- Zeus! Je vais t'apprendre à fricoter avec de simples mortelles! beugla une voix tonitruante.

Je fus encore plus abasourdi quand le taureau ailé se mit à parler sur un ton précipité :

- Que l'Olympe me vienne en aide, ma femme! Désolé ma belle, il va falloir que je m'envole vers d'autres cieux pour échapper à son courroux, je te conseille d'en faire de même avec le jeune homme qui se trouve ici.

Et sur ce fait, le taureau ailé prit son envol après avoir défoncé le mur de la bergerie d'un coup de cornes qui valait bien son coup de reins. Sans plus attendre, Dionysos saisit la main de sa sœur qui restait figée de stupéfaction, et l'entraînait dans le plus simple appareil hors de la bergerie pour échapper à la colère de la plus puissante des déesses de l'Olympe.
A peine furent-ils éloignés de la bergerie que celle-ci fut réduite à néant par de vives flammes rouges, couleur de la colère de la Déesse. Mais ce n'était pas le moment de s'attendrir, et Dionysos poursuivit son chemin, traînant sa sœur qui avait du mal à avancer sans ses cothurnes.
Mais quand un jour de déveine frappe, c'est pour toute la journée. Alors qu'ils s'enfonçaient dans la forêt, il atterrirent dans un camps de brigands. Les trois affreux se retournèrent brusquement, couteaux en mains. Il fallait réagir rapidement avant de se voir tailler joliment de beaux colliers à la dernière mode de la forêt. Dionysos tenta donc le tout pour le tout, dans un dernier élan de désespoir.

- Messieurs! Je vous cherchais ardemment! Vous avez face à vous un fervent admirateur de vos brigandages héroïques. Votre renommée étant telle qu'elle vous interdit tout plaisir dans les villes. J'ai donc pensé à vous offrir un peu de bon temps, fit-il en tirant sur le devant de la scène sa sœur, provoquant une réaction unanime juste en dessous de la ceinture.

Brigand ne rime pas avec sot ou attrape-nigaud, mais à la vue de cette scène, nous serions tenté de le croire. C'est ainsi que les frère et sœur se tirèrent de cette situation fâcheuse, mais ce fut aussi à ce moment là que Dionysos nourrit sa future vengeance et que germa dans son esprit son plan machiavélique à la réalisation de celle-ci.
Nous retrouvâmes donc six mois plus tard Dionysos dans une fructueuse affaire à Delphes. En effet, il tenait dorénavant le lieu de plaisir le plus convoité de la ville, et même peut-être de Grèce, ce qui équivalait au plus convoité du monde. Orgies, théâtre, musique. Dionysos était devenu le chef d'orchestre de tout cela, mêlant faste et débauche. L'emblème de la réussite de son établissement n'était autre que sa sœur, désirée par tout homme sensé (sans vouloir vous offenser, je n'ose point décrire sa beauté, de peur que vous me coupiez l'herbe sous mes pieds).
Mais les créatures divines à «L'auberge des Dieux» de Dionysos était chose courante, tout comme les flots de vin plus savoureux les uns que les autres. L'attention de Zeus, Dieu des Dieux, mais dieu lubrique, ne pouvait que finir par être attiré par cette étoile dans les terres grecques. Ce fut donc inévitable de retrouver Zeus dans mon histoire à cet endroit, entouré des plus belles créatures possibles qui pinaillaient sur les boucles blanches de ses cheveux et son infinie barbe. L'apparence de ce dernier était donc plus appropriée que notre dernière fois où nous l'avions quitté. Néanmoins, la situation n'en était que plus... gênante pour un dieu, surtout pour le Dieu suprême de l'Olympe. Entouré d'un harem digne de l'empereur perse, celui-ci tenait dans une main une amphore à moitié pleine (soyons optimistes) que venait régulièrement changer Dionysos lui-même. Devant Zeus dansait langoureusement Aspasie, vêtue d'une gaze des plus légère, ce qui ne faisant qu'émoustiller Zeus un peu plus qui baladait sa main libre un peu partout dans son harem et qui se mit à enchaîner les chansons paillardes de hautes volées.
La situation remplissait d'une joie perverse notre principal protagoniste. Voir Zeus ivre mort dans une situation de débauche n'était que la première partie de son plan, mais cette première réussite le convainquit que l'ambition de son projet était réalisable.
Poussé par sa jubilation, Dionysos poursuivit son plan que vous trouverez forcément génial à la lecture de celui-ci. Il commença donc à marmonner quelques prières dans un murmure inaudible. Mais sa voix devint de plus en plus forte. A l'écoute de ses prières, je compris soudainement qu'il sollicitait la présence de Héra, femme de Zeus, en tentant de l'invoquer en exposant ses raisons dans un mélange de dévotions. Peu intéressée par les affaires bassement terrestres, Héra mit du temps à écouter cette invocation, mais devant l'insistance de celle-ci, et surtout devant l'absence de son mari sur l'Olympe, elle finit par y prêter attention, treize jours après le début des prières de Dionysos à son égard.
Ce fut une déesse revêche qui atterrit donc devant Dionysos, dans la piécette attenante à l'auberge. Ce dernier ouvrit les yeux dans un sourire sardonique mais néanmoins surpris de voir ses prières exaucées. Qui pouvait se vanter d'avoir réussit à faire venir une déesse, et pas la moindre?

- Que me veux-tu, mortel?! demanda impérieusement la déesse dans une humeur noire.
- Ma dame! Me voilà honoré de votre divine présence, répondit-il dans une révérence non feinte. Je sollicitais votre présence afin de résoudre un problème épineux. J'ai crû comprendre que vous êtes exaspérée des incartades de votre mari. Il va de soi que je suis de tout cœur avec vous. J'aurais donc une solution à vous proposer en échange de cette occasion exceptionnelle que je vous offre pour régler vos problèmes conjugaux.
- Et bien, parle, mortel! Que voudrais-tu obtenir de moi?
- Je souhaiterais, ainsi que ma sœur, acquérir la divinité et votre pardon pour une mésaventure passée, lâcha t-il obséquieusement.
- Comment!? Mais c'est inacceptable!
- Au contraire, cela me semble peu cher demandé face au respect que vous allez pouvoir obtenir de vos fidèles serviteurs que nous sommes mais aussi de l'Olympe en montrant que l'on ne brave pas le pacte sacré du mariage.

Héra réfléchit un instant, mais elle lâcha bien vite les négociations, trop désireuse de faire respecter sa loi dans son couple.

- Soit. Je suis disposée à vous offrir divinité et pardon. Où est-il?
- Le voilà occupé depuis treize jours dans l'auberge, ivre mort et entouré de jeunes filles.

Ivre de fureur, ce fut ainsi que Héra débarqua dans l'optique d'infliger une correction retentissante à son époux infidèle. Mais lorsqu'elle aperçu Aspasie, elle ne put retenir une exclamation de stupeur.

- Toi!

Sur le coup, je me suis bien dis que le plan de Dionysos tombait à l'eau, mais celui-ci intervint promptement, alors que Zeus ne reconnaissait toujours pas sa femme, l'alcool clapotant dans ses oreilles et embrumant sa vision divine :

- Ma Dame! Tenons-en nous à notre accord. J'ai demandé votre pardon, vous nous l'avez donné, j'ose espérer que vous n'avez qu'une parole. Il se trouve que ce jour là, jour terrible pour nous tous, la frénésie de votre époux apparaissait comme indomptable, ma sœur ne put s'opposer à ses désirs.
- Il n'y a aucune excuse pour ce qu'elle à fait. Éprouver un quelconque plaisir charnel avec mon époux à ma place est impardonnable. Je vais réduire en cendre cette petite dinde!
- Non! N'en faites rien! Regardez-là! Ne voyez-vous pas qu'elle ne peut faire ombrage à votre éblouissante beauté et majesté? Elle me paraît bien pâle devant votre grâce astrale.

A beau flagorneur, résultat prometteur. Voilà que Héra, déesse peu guillerette mais coquette, changea de facette devant cette argumentation de poète.

- Mon brave, me voilà charmé par vos excuses que je devine sincères. Je vais donc me montrer miséricordieuse à votre égard et à celui de votre pauvre sœur, qui a eu bien des malheurs.

Et voilà que toute sa frustration se reporta dans une puissante détonation sur son mari ivre, qui allait devoir survivre à l'ire de son épouse des plus jalouse. Qu'à cela ne tienne, on remarquait beaucoup de tendresse dans cette punition infligée avec affliction. Réveillé par la détonation, Zeus en était tout désorienté quand il sentit sa toge brûler. Mais cela n'avait que pour but de dévoiler impudiquement la puissance, ou plutôt l'impuissance, du Dieu des Dieux au pieu (vous m'excuserez, je n'ai pu m'en empêchez).
Cette franche rigolade n'avait aucune chance de figurer dans un récit tel l'Illiade, c'est pourquoi ce mythe tomba dans l'oubli, jusqu'à ce jour où je vous en fais grâce. Zeus fut couvert de ridicule à l'image de ses testicules, et je vous le livre sans scrupule.
Mais ce fut aussi l'occasion où Dionysos et Aspasie obtinrent leur divinité. L'un devint le Dieu de la vigne, du vin et de ses excès ainsi que du théâtre et de la tragédie. L'autre devint la Déesse des plaisirs charnels*, chose moins glorieuse, mais tout ne pouvait pas être pardonné par Héra.
Et c'est aussi depuis ce jour que le nombre treize devint maudit et porta malheur en de nombreuses circonstances.
Mais plus important depuis cette mésaventure, un nouveau précepte fut enseigné parmi les Dieux de l'Olympe, quelle que soit la quantité de vin ou d'hydromel que l'on a bu, un dieu doit toujours se montrer digne et marcher droit.


*A noter qu'Aspasie n'est pas une déesse dans la mythologie. Il s'agit en fait de la très connue amante de Pline le Jeune, elle est donc surtout un symbole pour les «courtisanes».

La tragique histoire du Caravelle​


Le monde est pauvre.
Pauvre parce que son existence est terne.
Terne parce que sur elle s'abat un fléau.
Un fléau qui se nomme Homme...


Sur l'île-navire Caravelle. Au milieu de l'Atlantique.

«Capitaine! Des débris flottants sur l'eau ont été repérés à environ deux kilomètres à bâbord. Leur origine n'a pas encore été confirmé mais vu la quantité présente, on penche pour l'Aemilia, le paquebot disparu il y a voilà trois semaines.
- L'Aemilia? Tudieu! Mais que feraient ses débris au niveau de l'équateur alors qu'au dernier pointage radar avant sa disparition, il se trouvait au Sud du cap de Bonne Espérance?
- En effet, si l'incident s'est produit là où le radar a perdu de vue le paquebot, ses débris auraient dû voguer directement dans l'océan Indien. C'est tout à fait anormal, capitaine.
- Bien, avertissez par radio le centre de Brest, et dîtes leur que l'on envoie notre hélicoptère survoler les débris. Au bout de trois semaines en pleine mer, ça serait un miracle de trouver des survivants cramponnés à des plaques de tôles mais sait-on jamais.»


L'angoisse était pesante dans l'hélicoptère. Les superstitions des marins déteignaient sur les deux pilotes et les deux sauveteurs qui scrutaient plus la houle noire de la mer que les débris, comme si quelque chose pouvait en surgir à tout moment. Qu'est-ce qui avait pu provoquer cette catastrophe? Quatre mille personnes qui disparaissaient aux yeux du monde en un instant. Comment cela pouvait-il être possible avec les progrès technologiques de ces dernières années?
L'angoisse toujours persistante, les occupants de l'hélicoptère ne purent que constater les dégâts. Ils ne faisaient pas face à quelques débris éparses mais bien à tout un paquebot entièrement démembré en petits morceaux.


«Là! s'exclama l'un des sauveteur.
- Quoi là? répondit le second.
- Non rien. J'avais crû voir quelque chose bouger sous l'eau, sûrement un banc de poissons.
- OK les gars,
fit le pilote, on va rentrer à la maison, ça fait deux heures qu'on survole tout ça et aucun signe de vie. Mais avant, on repêche un morceau du paquebot pour que les experts puissent l'examiner.»

Dans le laboratoire du Caravelle.

«C'est étrange capitaine. Je ne vois pas ce qui aurait pu cabosser ainsi un morceau de tôle pareil. D'après les différents impacts, ça ne peut pas être un récif. On dirait même que ce morceau de métal a été coupé net par un autre morceau de métal.
- Dites le clairement professeur. Vous envisagez une attaque pirate?
- Non, c'est à exclure capitaine. Aucune arme au monde ne fait ce genre de dégât. Les dommages sont totalement aléatoires, ça ressemble à un travail de sauvage si je peux me permettre.
- Parce qu'il y a une façon civilisée de couler un paquebot?
- Je me suis mal exprimé capitaine. Je pense que ceci est l'œuvre d'un prédateur marin, même si cela peut paraître totalement absurde, puisque je n'en connais aucun qui puisse faire cela. Mais dans le comportement, ça y ressemble.
- Je crois que la peur vous fait perdre votre objectivité. Et vous vous contredisez. Vous dites que les dommages ont été provoqués par quelque chose de métallique, et si je ne connais aucun monstre marin, j'en connais encore moins qui sont cuirassés.
- Certes, capitaine, mais vous devez envisagez sérieusement que quelque chose qui a fait disparaître quatre mille personnes en un tour de main peut en faire disparaître cinquante mille!»
lança le scientifique tandis que le capitaine s'éloignait déjà.

La pleine lune s'enfonce dans l'océan sans fond. Le Caravelle dort paisiblement, ne se doutant de rien. La menace se profile. Car si l'océan est calme tel la surface d'un miroir où se reflète l'astre lunaire de toute sa hautaine majesté, ses habitants s'agitent. Les sonars de l'île artificielle ne capte aucun écho particuliers si ce n'est celui d'un énorme banc de poissons.
Et pourtant, le danger est bien là. Elles ont faims. Elle a faim. Elles doivent se rassasier. Trois semaines sans manger. Tous les poissons les fuient. Impossible de les attraper, ils sont trop rapides. Mais il existe des cibles idéales. Des cibles qui se croyant à l'abri de tout sont devenus proies.
L'ombre se profile sous la surface des flots. Elle réfléchit longuement, elle est intelligente, très intelligente. Comment attaquer cette proie? Par quel côté? Jamais elle n'a vu quelque chose d'aussi grand. Seul sa confiance en elle est aussi grande. Mais cela sera-t-il suffisant face à cette coque immense sur laquelle s'élève fièrement de hauts immeubles, symbole de la naïveté humaine? Ils ont beau reproduire une île, cela reste un navire conçu avec les entrailles de la Terre.

Sur le bord du Caravelle, à une rambarde.

Observant le reflet de la lune dans un silence de cathédrale, une femme dans les bras de son fiancé profite de cette splendide nuit. L'océan n'est que deux petits mètres plus bas.

«Regarde mon loulou, ça ne serait pas la constellation d'Orion que l'on voit là-bas? demanda t-elle en tendant gracieusement son bras vers le ciel.
- Probablement chérie, tu me taquines encore. C'est toi l'astrophysicienne ici, répondit-il affectueusement.
- J'espérais que tu aurais retenu quelques petites choses de nos précédentes ballades nocturnes.
- Et toi, as-tu retenu les chi... chérie! Qu'est-ce que c'était à l'instant?
s'exclama-t-il soudainement. Pourquoi l'île tangue subitement alors que nous sommes à l'arrêt et que tout est calme?
- Que veux-tu que j'en sache! Je suis astrophysicienne moi! C'est toi l'océanologue ici, à toi de me le dire.
- Tiens toi bien à la rambarde, cette première secousse ne présage rien de bon, c'est peut-être une vague scélérate qui s'annonce.»


A peine eut-il le temps de la mettre en garde qu'un choc retentissant eut lieu contre la carlingue de l'île-navire. Alors que la jeune femme venait de prendre fermement en main la rambarde, son compagnon fut propulsé contre elle. Assommée sur le coup, elle lâcha prise, et, terriblement lentement, les deux baladeurs nocturnes tombèrent dans l'eau sombre et vorace.
C'est alors que ses habitants se mirent en action. Le jeune océanologue tentait de maintenir hors de l'eau la tête de sa compagne inconsciente. Affolé comme il l'était, il ne vit pas la ribambelles d'ombres argentées qui se découpait sous la surface noirâtre mais surtout qui se dirigeait droit sur eux.
Et c'est dans un dernier cri de douleur déchirant le voile de la nuit que le jeune couple fut emporté de l'autre côté du miroir qui se drapait lentement de rouge...


Dans la salle des commandes.

C'est la panique. Une voie d'eau, certes minime mais tout de même, est déclarée. Le capitaine donne ses ordres à droite et à gauche. Une seule erreur de jugement de sa part et ça peut être le drame, la pression sur ses épaules est énorme. Il essaie vainement de contacter la côte, que ce soit française ou américaine, rien y fait, un brouillage inconnu empêche toute communication. La transpiration perle de son menton.
Fort heureusement, il n'y a eu que deux chocs. Seulement, on ignore leur origine. Allié à cela la trouvaille des débris de l'Aemilia et toute l'île-navire se trouve en ébullition. Tout le monde veut quitter le Caravelle, mais il n'y a que trois hélicoptères de secours, dont aucun qui n'a la portée suffisante pour rejoindre la côté. Personne n'ose non plus utiliser les canots de sauvetage ou leurs petits bateaux personnels, une chose qui peut faire des dégâts aussi important à un mastodonte tel le Caravelle peut engloutir en quelques secondes un simple navire de plaisance.
Le capitaine tente donc de calmer la population, répétant sans cesse que les dégâts sont mineurs et que tout est sous le contrôle de l'équipage. Néanmoins, il demande à ce que tout le monde rejoigne ses appartements afin de pointer électroniquement sa présence. Désormais, un ravitaillement sera mis au centre de l'île-navire pour éviter toutes chutes dans l'océan en cas de nouveau choc.
Après toutes cette frénésie nocturne, l'aube se lève avec son soleil rouge sang comme s'il voulait résumer les événements de la nuit passée.


«Capitaine, la situation est plus préoccupante que prévu. D'après le recensement électronique, il manquerait sept personnes à l'appel. En ce qui concerne la voie d'eau, elle a été parfaitement contrôlé mais il y a un autre problème.
- Quoi donc matelot?
- Tous les moteurs ont été endommagés, impossible de faire route vers la côte. Nous n'avons le matériel nécessaire que pour en remplacer la moitié. Et le temps de réparer, nous ne rejoindrons pas la côte avec deux semaines.
- Bien, c'est en effet préoccupant. Je veux toutes les équipes techniques sur la réparation des moteurs sauf deux qui s'occuperont du reste du navire. Je veux que les réparations se fassent jour et nuit, donc un système de rotation des équipes s'impose. L'origine de cette casse m'inquiète. Pour ce qui est des disparus, je veux que nos équipes de plongeurs soient envoyées à leur recherche avec un hélicoptère qui survolera le pourtour de l'île. Je vais faire une annonce quant aux disparus, mais avant cela, informez le responsable de la sécurité de mettre tous ses agents en état d'alerte pour éviter tout état de panique.
- Bien capitaine, toutes les mesures seront prises dans les plus brefs délais.»


L'annonce du capitaine, contrairement à ce qu'il avait craint, ne fit pas plus d'émules que cela dans un premier temps. Cela aurait pu en rester là jusqu'à ce qu'on apprenne la disparition de deux plongeurs ainsi que la découverte de lambeaux de vêtements mêlés de chair déchiquetée.
C'est alors que la panique se déclencha malgré le silence officiel du capitaine qui ne voulait pas que la nouvelle se répande. Les fuites furent inévitables dans son entourage et la sécurité, en large infériorité numérique, eut fort à faire pour contrôler ce vent de panique. Heureusement pour elle, la décision du capitaine de demander à chaque habitant de l'île-navire de se calfeutrer chez soi eut pour conséquence d'éviter tout mouvement de groupe important.
Mais une chose est oubliée. Le danger rôde toujours...


Sous l'eau.

Les techniciens plongeurs travaillaient d'arrache-pied pour remettre en état les moteurs aux dégâts étranges. Le métal donnait l'impression d'avoir été mâchouillé comme une feuille de salade. Il était froissé et déchiré de toutes parts.
Les moteurs de l'île étaient répartis aux quatre points cardinaux, trois turbines à chacun. Une équipe de techniciens travaillait sur chaque site, soit un total de seize plongeurs. Tous étaient totalement focalisés sur leur tâche, les rendant aveugle de leur environnement.
Cela précipita leur perte.
L'attaque fut rapide mais surtout silencieuse. Ou presque.
L'un des techniciens eut le temps de voir venir le danger. Il avait en effet malencontreusement laissé tombé un de ses outils qui s'enfonçait par conséquent peu à peu au fond de l'océan. Baissant les yeux, il eut alors le temps de voir une gueule béante et rutilante, car cerclée de fer, foncer droit sur lui par en-dessous.
Et il cria.


Dans la salle des commandes.

«Un monstre! Au...»

Puis le silence.
Tous les regards se tournèrent vers le poste de réception des micros des plongeurs. Pas une seule personne n'osait parler. Tous avaient les poils hérissés sur la nuque. Nous n'étions plus à l'ancien temps où les marins entretenaient de stupides superstitions sur des monstres marins ou autres. Et pourtant. Voilà que ce vestige de la mémoire collective ressurgissait, venant tout droit des récits de de leurs aïeux.
L'un des marin, dans ce moment de tension extrême qui dura plusieurs minutes, eut le courage de prendre la parole.

«Capitaine, que faisons nous?» demanda-t-il d'un ton mal assuré.
Toujours pas sorti de son état de choc, le capitaine restait hébété face à la question du matelot. Que pouvait-on faire face à un monstre, et même probablement plusieurs puisque toutes les liaisons de communications avaient été rompues simultanément avec l'ensemble des plongeurs, qui avait pour terrain de chasse un océan entier?
Le marin, écrasé par la pression et l'absence totale du chef du navire, perdit le contrôle de ses nerfs et frappa subitement le capitaine d'un violent coup de poing en s'exclamant de tous ses poumons :

«Que devons nous faire capitaine?! C'est vous le maître à bord!»
La violence. Voilà qui remit d'aplomb le capitaine. Son cerveau jusque là paralysé se mit en ébullition et chercha une multitude de solutions aux problèmes qui se profilaient. L'auditoire paralysé se transforma en véritable fourmilière en réponse à l'énumération des ordres du capitaine.

«Et matelot, vous me ferez huit jours d'arrêt pour outrage à un officier supérieur!» beugla le capitaine avant de murmurer au passage un simple mais sincère remerciement.

La nuit venue.

C'est la pleine lune. Une vingtaine de fusiliers ainsi que la sécurité du navire circulent tout autour de l'île-navire. Tous sont lourdement armés. Un couvre-feu a été décrété par le capitaine. Tous les habitants attendent le dénouement de cette histoire sordide dont ils ignorent presque tout.
Mais la peur les tient. Personne n'a jamais affronté de monstre, et surtout, il n'ont pas été formé pour affronter des monstres. Et à quoi peut bien ressembler le monstre en question?
Aveuglé par le voile obscur de la nuit malgré la pleine lune, les fusiliers scrutent attentivement l'océan. A tout moment, le danger peut surgir. Mais d'où? C'est dans les moments comme cela que l'on comprends le courage des marins d'ancien temps qui partait affronter l'immensité de l'océan sur leurs baquets qui ne demandaient qu'à couler dans les entrailles des abysses.
Et pendant qu'ils circulent lentement sur les plateformes en scrutant les clapotis de la mer, le monstre les observe. S'il ne peut pas sourire sardoniquement, son physique l'en empêchant, il serait de mise. Déjà il se délecte du festin qui s'offre à lui et ses enfants. Ils attendent le moment propice, leur patience est à toute épreuve. Cela fait déjà bien trois semaines qu'ils n'ont pas mangé, ils peuvent bien tenir encore un temps.
Là!
Un nuage sombre voile la lune.
Un fracas assourdissant se fait entendre sur l'aile bâbord de l'île-navire.
L'alarme retentit immédiatement en même temps qu'une foule de cris provenant de tous les coins du navire. Les pas de bottes retentissent dans toutes les coursives accompagné d'une foule de cliquètements métalliques. Il n'y a plus aucun doute pour les officiers du Caravelle, il s'agit d'une attaque. Les fusiliers s'efforcent toujours de scruter l'insondable, les radars étant tous brouillés. L'un d'entre eux aperçoit une masse sombre sous l'eau. Sans réfléchir, celui-ci tire une rafale en plein dans l'ombre.
Dong!
Oui, un dong, certes étouffés par l'eau, retentit.


«Sortez l'artillerie lourde bon dieu! L'ennemi est en métal, il ne s'agit pas de quelque chose de vivant!» s'époumona le marin qui venait de tirer.

A ce cri s'élevant au-dessus des autres, un second choc retentissant se fit entendre.
Dans les cales, les marins s'efforçaient tant bien que mal de colmater les deux brèches béantes pour empêcher les flots noirs de pénétrer. Mais le mal était fait et le débit trop important. Le Caravelle sombrait lentement dans l'océan.
Malgré cela, les soldats tentèrent le tout pour le tout en sortant les bazookas et les bombes anti sous-marins alors que les canons de 75 mm avaient eux-aussi échoué. Le concert aquatique qui s'ensuivit fut d'une beauté époustouflante malgré l'horreur qu'elle signifiait. Le son des explosion était étouffé par l'océan et était agréable à l'oreille alors que les yeux du Caravelle pouvaient se régaler du spectacle des gerbes d'eau immense qui s'élevaient, parfois teintées d'une couleur rouge.
Si le spectacle était impressionnant et magnifique, les faits étaient eux catastrophiques. Bien que les barils explosifs avaient semble-t-il eu une certaine efficacité, les assaillants étaient toujours présents et s'attaquaient voracement à la coque de l'île-navire qui sombrait de plus en plus rapidement.
La cale était désormais pleine d'eau et les matelots tentaient de nager vers une sortie quand déboula soudainement ce qui ressemblait à des tortues grandes comme un lamantin caparaçonnées d'acier. Hélas pour les marins, ces tortues avaient aussi de longues dents aiguisées qui apparaissaient clairement.
Un visage était mis sur l'ennemi. Et ce visage était terrifiant. Ce n'était pas un ennemi humain, mais une nouvelle forme d'intelligence supérieure prête à contester l'hégémonie humaine sur le monde. Le pire cauchemar de l'homme se réalisait. Un ennemi intelligent, belliqueux et invisible lui faisait face.
Un marin réussit à s'extirper des cales pour avertir par mégaphone le reste de l'équipage et le capitaine de la nature de l'ennemi. A cette nouvelle, le capitaine en fut abasourdi. Mais lucide et toujours dans son rôle, il tenta d'en avertir la terre par radio. En vain. Celle-ci était toujours brouillé, mais il commençait à comprendre pourquoi. Si ces "tortues" carnivores parvenaient à se concevoir des armures, elles pouvaient très bien mettre sur pied un brouilleur d'ondes.
Et alors que tout semblait aller pour le pire surgit de l'eau une masse métallique énorme. Elle faisait la taille de deux baleines bleues et sautait monstrueusement haut, un un tel point qu'elle donnait l'impression de planer. Cette gigantesque masse atterrit directement dans la cabine de pilotage. Ce n'était rien d'autre qu'une affreuse tortue géante et carnivore en modèle géant qui d'un coup de bec dévora le capitaine.

Un champ de débris à la dérive, au milieu de l'Atlantique.

Des milliers de débris. Des milliers de morts. Un seul survivant. Un enfant de huit ans évanouit sur un morceau de tôle. La vérité dans sa bouche. Le croira-t-on?

Le cercle des sentiments

Il était une fois la Haine. Vicieuse et viscérale, elle s’immisça sournoisement et profondément dans les relations de deux communautés pacifiques, les Shoras et les Reshus. Ces deux peuples, minorités dans l’empire Ashuran, vivaient jusque-là en harmonie avec le système impérial qui n’avait jamais fait couler leur sang. Reshus et Shoras se tenaient sur un parfait pied d’égalité au sein de l’Empire.

Mais cette haine se personnifia dans le mariage de la jeune impératrice, la resplendissante Senjimara. La maîtresse de l’Empire cherchait en effet à s’aliéner une des deux peuplades afin d’hériter de leur sang dépositaire d’une très ancienne magie, selon les dires. L’impératrice ne doutait pas qu’elle réussirait à faire main basse sur cette magie qui lui restait mystérieuse à ses yeux. Dans sa quête de pouvoir, elle réussit grâce à son charme envoûtant à séduire le Conseil des Anciens du peuple shora qui lui offrit en mariage un de ses Gardiens.

C’était sans compter sur les Reshus qui eux avaient résistés aux sirènes impériales. Ils firent savoir leur colère que l’un des peuples élus puisse trahir sa mission ancestrale ; les armes du pouvoir ne doivent pas tomber dans les mains du pouvoir. Les ninjas reshus assassinèrent alors le prétendant shora au mariage pour faire passer le message de façon certaine.

Ainsi commença le cycle de la haine.

Choqués de ce meurtre expéditif et spectaculaire, la victime avait été crucifiée sur le temple Sho, les Anciens shoras crièrent vengeance auprès de son altesse impériale Senjimara. Apprenant la nouvelle, l’impératrice tua de ses mains dans un accès de rage le porteur du message lugubre. Elle commanda en réaction à ses cinq mille samouraïs, à la tête de cent mille autres soldats, de marcher sur Reshuan.

La résistance des dix mille guerriers reshus fut glorieuse et courageuse, traçant un sillon sanglant sur leur chemin, mais un repli stratégique se fit rapidement nécessaire. Hélas, dans leur débandade, ce qu’il restait de l’armée reshu se fit surprendre par la charge des samouraïs shoras.

Acculé, le général reshu mandata un coursier auprès des Anciens afin de les avertir de la situation. Sentant proche la fin de leur peuple, ceux-ci ordonnèrent dans leur haine l’impensable. Les cents Gardiens se réunirent dans le temple Shu sur leur ordre. Le chef du Conseil prit alors la parole pour un discours flamboyant :

« Gardiens ! L’heure de votre serment touche à sa fin. Le peuple reshu, notre peuple, votre peuple, est sur le point d’être exterminé par les vautours et des traîtres à leur héritage. Vaut-il mieux sauver la magie de nos ancêtres, ou vaut-il mieux secourir nos familles et leur avenir ? Je vous demande, humblement, conscient de votre devoir, d’invoquer l’Argenté ! »

Exaltés, l’assistance hurla son assentiment dans des grands hourras. Ils se mirent en cercle dans le temple et commencèrent la cérémonie d’invocation. Leurs femmes, servantes du temple, pleurèrent de toutes leurs larmes, conscientes du sacrifice auquel ils allaient consentir pour elles et tout leur peuple. Ils se lancèrent dans une litanie mordante et discordante. Leur chant fiévreux monta dans toute la ville, s’harmonisant à mesure que le final approchait. Tandis que le cérémonial parvenait à son apogée, les cents Gardiens, dans un seul mouvement ample, dégainèrent leur dague pour se la planter en plein cœur dans une note parfaite.

L’incroyable se produisit alors. Une lumière argentée étincelante émana de tous les corps qui, malgré la blessure mortelle, restaient debout. Celle-ci monta dans le ciel étoilé de la déesse nocturne Luna. Dans un éclair éblouissant, la masse lumineuse prit forme. C’était un dragon ! Shu (c’était son nom) lança un rugissement monstrueux d’un autre monde comme on n’en avait jamais entendu. Son halo brillant donnait l’impression aux habitants de la ville d’être au cœur de l’univers, en osmose la plus complète avec les étoiles.

Les Gardiens, toujours baignés de lumière, se murent hors du temple dans un ensemble parfait malgré le poignard plongé dans leur torse. Dans un état de transe, ils chantaient toujours leur litanie ; ils étaient l’âme du dragon !

L’attaque de ce dernier fut effrayante. Sa vitesse était inimaginable et sa force de frappe encore moins. En deux temps et trois mouvements, il raya de la carte la quasi-totalité de l’armée impériale. De sa bouche sortait un torrent de feu blanc, et du reste de son corps était propulsé des flèches de lumière mortelles.

Les quelques centaines de survivants fuyaient dans le chaos le plus total jusqu’à ce qu’un simple soldat, Yuri, par son simple charisme, ne réussisse à les rassembler. Il organisa alors la jonction avec les samouraïs shoras. Sur leur conseil, ils battirent tous en retraite sur la cité de Shoran. C’est là que le Conseil révéla la faiblesse du dragon. Shu vivra tant que restera debout un de ses invocateurs, sachant qu’une fois invoqué, il n’y avait pas de retour possible. Ces moines-guerriers n’avaient plus la possibilité ni de s’alimenter, ni de s’abreuver ; ils couraient sciemment à leur perte.

L’espoir renaquit à ces propos encourageants, vite douché par une mise en garde des Gardiens de Sho. Leurs confrères de Shu, tout comme eux, passaient leur vie à entraîner leur corps et leur esprit à l’abstinence. Couplé aux effets de la magie, le plus résistant d’entre eux pouvait tenir des semaines durant. Pendant ce laps de temps, le dragon n’aurait aucune difficulté à effacer toute trace de vie sur la planète. Il n’existait qu’une seule solution selon le chef du culte de Sho.

« Pour pouvoir contenir Shu l’Argenté, il va nous falloir invoquer Sho le Doré dont la puissance est égale. Ainsi, vous braves guerriers, vous pourrez tenter d’éliminer les Gardiens de l’Argenté. Seulement, ce ne sera pas chose aisée. Ils sont devenus le dragon, nimbés de son manteau de lumière meurtrière. Votre unique chance est d’avoir des boucliers-miroirs. »

Le pessimisme revint en trombe, atteignant son paroxysme. Un miroir coûtait une armée complète en plus d’être presque aussi rare qu’un dragon, alors comment en équiper des centaines de guerriers ? Leur salut vint encore du Gardien. L’Ordre de Sho conservait dans son temple cent de ces boucliers destinés à leur usage pour ce cas de figure. Les meilleurs combattants sous les ordres de Yuri en furent équipés.

Mais la principale source d’inquiétudes des membres du culte de Sho résidait dans le fait qu’ils devaient attendre le lever du jour afin d’invoquer le dragon Doré. Il leur fallait survivre jusque-là. De plus, l’instruction à la litanie draconique de leur centième et dernier acolyte qui avait remplacé leur compagnon assassiné était primordiale. Ce n’est pas en un jour que l’on appréhende le travail d’une vie.

La consigne donnée à la population était de rester caché dans les sous-sols pour ne pas être à portée de Shu. Dans l’attente de l’invocation de Sho, le dragon Argenté dont les traits de lumière se trouvaient par conséquent inefficaces crachait sa fureur enflammée sur la cité.

La peur au ventre, habitants, combattants et dirigeants ne pouvaient que prier la fin de l’instant présent, le soleil se faisait désirer. La lutte entre la déesse Luna et le dieu Astra devait se faire plus féroce que d’habitude. La crainte de la victoire éternelle de la déesse existait dans le cœur des Shoras. Le peuple ashuran et sa maîtresse Senjimara étaient dans l’expectative la plus totale, insignifiant dans sa grandeur terrestre, dépendant des Cieux. L’Empire avait enfanté un monstre inarrêtable qu’était la haine.

L’aube se leva enfin dans ses habits rouge flamboyant. Le soulagement était perceptible dans le camp shora. Mais il laissa rapidement place à la peur lorsque les Shoras virent le dragon pousser un hurlement titanesque accompagné d’une flambée blanche gigantesque en direction de l’astre solaire. Cela fut vain ; le dieu Astra était bien trop puissant pour le simple subalterne de la déesse Luna.

Les disciples de Sho s’installèrent fébrilement en cercle pour réciter les chants antiques légués par Astra. Très vite, une lumière d’or s’envola de leur enveloppe charnelle vers les cieux. Chacun dans la salle espérait que leur nouveau camarade ne succomberait pas avant la note finale de la cérémonie. Le processus requérait des années de préparation, ce qui n’était pas son cas. Hélas pour les Reshus, la conviction de sauver son peuple lui permit de résister à ce pouvoir incommensurable avant de ne s’écrouler sur la dalle de pierre, dague enfoncée dans sa poitrine, sourire aux lèvres. L’instant était décisif. Cet événement minuscule dans le déroulement de la guerre sonnait comme un tournant. Enfin le dragon doré Sho prenait consistance.

Immédiatement, Shu se jeta toutes griffes dehors sur son antagoniste. L’affrontement fut épique. De la poussière de lumière volait dans tous les sens, argentée ou dorée. Chaque homme, femme ou enfant sorti de son abri demeurait tétanisé devant ce spectacle terrifiant et magnifique de beauté. La scène en était à un tel point que Yuri et ses frères d’armes en oublièrent leur mission, fascinés par ce tableau.

Le combat eut l’air d’être éphémère alors qu’il dura toute une journée et toute une nuit. A cet instant, tandis qu’aucun des deux dragons ne prenait l’ascendant, un véritable choc se fit entendre. A ce bruit, Gardiens reshus et shoras s’effondrèrent sans vie. Malgré cela, les deux entités de lumières persistèrent dans leur existence, stoppant simplement toute forme de lutte.

C’est alors que dans un éclair aveuglant, Doré et Argenté fusionnèrent en une seule lumière qui monta rejoindre Astra et Luna dans le cosmos divin. Là y naquit une éclipse, symbole de l’amour des dieux et qui sonnait le glas de la magie sur terre. De cette providence divine naquit un enfant prodige, Senjimaru, pardon des dieux devant la faiblesse des humains qui avait eu faux sur toute la ligne au sujet de la magie.

Comme le disait le Grand Sage ; « De l’Amour naît la Haine, dans la Haine vit l’Amour ».

Kenta

Kenta regardait les flammes de l’âtre rougeoyer, le regard vide et inaccessible. Koray, seul ami intime et second de la confrérie, l’observait broyer du noir dans son fauteuil fétiche, création d’un célèbre artisan misha. Ils avaient pour habitude de tenir leurs réunions les plus secrètes comme les plus amicales ici même, lui installé dans le fauteuil d’en face.

Seulement, il était ici attablé à son bureau un peu plus loin, en train de griffonner du courrier, à l’aide d’une simple plume d’oie et d’une encre bleue scintillante comme l’eau au soleil, à expédier dans les quatre coins du monde. Il soupira donc, faisant mine d’ignorer son ami qui restait dans le silence le plus obtus.

Il avait débarqué comme souvent, à l’improviste la plus totale, suivi d’un souffle chaud habituel, sans un mot, pour se laisser tomber sur son trône de fauteuil, seul espace de la guilde où on le laissait tranquille. Le feu de la cheminé crépitait déjà joyeusement quand des tentacules orangées s’étirèrent langoureusement pour venir pourlécher ses doigt dans un signe de contentement chaleureux, reconnaissant l’un de ses maîtres. Kenta émit alors sèchement un claquement de langue, repoussant ainsi les flammèches qui lui obéirent promptement, virant dans une teinte plus rouge en signe de déception. Mais le Grand Sage de l’Ordre de Cendres ignora cela d’un air maussade.

Ce spectacle silencieux durait depuis un moment puisque le sablier ornemental qui trônait fièrement sur la table de travail avait vu s’écouler une bonne part de sa cendre qui virevoltait dans la moitié inférieure.

Il fallut attendre que Koray mette un point final à sa correspondance pour lever à nouveau les yeux. Il se leva alors et vint s’assoir paisiblement dans son fauteuil personnel. Kenta ne daigna toujours pas croisa leurs regards, tapotant lentement son accoudoir. Son ami attendit patiemment, de façon bienveillante. Il sentait bien qu’une pensée noire et inhabituelle trottait dans la tête de son compagnon. Il savait que son camarade de toujours ne supportait jamais bien longtemps son air de confesseur.

Kenta brisa alors le silence d’un murmure terrible.

« J’arrive à l’Ultime, Koray. »

Un sentiment d’incrédulité s’empara de son interlocuteur. Ce dernier faisait un rapide calcul de son âge. Malgré sa situation au sein de l’Ordre, Kenta avait tout juste atteint la trentaine. Certes, un phénicien faisait rarement de vieux os, leur espérance de vie étant intimement lié à l’usage de leur magie. Il existait même un statut particulier, celui du plus Sage, pour le membre de la guilde le plus ancien, et donc par voie de fait qui avait usé le plus sagement de son pouvoir.

En l’occurrence, Kenta fut bien plus dispendieux de son don. Il affichait une mine abattue comme rarement il l’avait vu. Il pouvait énumérer ces instants sur une seule main. La mort prématurée de sa fille, l’échec diplomatique au conseil des Cinq, la mort de notre maître lors de la guerre des Cendres.

« Montre-moi. »

Docilement, le Grand Sage déploya son immense et épaisse carcasse de deux mètres avant d’entreprendre la défection du haut de son habit. Il faut comprendre que la tenue vestimentaire d’un phénicien présente des spécificités. Si le commun des mages pouvait choisir la couleur de leur grande robe, le chef de l’ordre devait obligatoirement arborer un bleu quasiment surnaturel, symbole d’une combustion intégrale. Tous par contre voient leur vêtement couvrir entièrement le corps du cou aux chevilles. Leur robe offre donc comme caractéristique visible au premier coup d’œil un col haut et large masquant jusqu’à la glotte. Plus discret, la manche gauche, parfois droite, dévoile au niveau du poignet un léger trou qui marque l’origine de l’arborescence du phénicien. Car l’objectif est de cacher cette sorte de tatouage vivant à son prochain, symbole du capital magique restant à son utilisateur. Seul l’intérieur des mains et des pieds ainsi que la tête étaient épargnés par ce phénomène à son terme.

Quand le haut tomba, Kenta dévoila une arborescence, au repos, c’est-à-dire noire comme la calcination, qui voyait grimper une pointe jusque sous la gorge. Il était rare pour quiconque de voir une ferrade, autre nom de l’arborescence qui marquait beaucoup plus la soumission à la magie du feu, complète. Koray ne put dissimuler son air impressionné en assistant à ce spectacle. Les motifs de chaque phénicien étaient uniques, et ceux de son ami formaient un florilège enchevêtré à l’instar d’une plante grimpante tenace comme le chèvrefeuille.

« En effet, tu sembles arrivé à ton dernier sortilège. C’est bien l’Ultime. Comment est-ce possible, si tôt ? demanda Koray.
- Rappelle-toi de la guerre. D’après toi, comment ai-je pu battre le meurtrier de notre maître, Sutehk ? Personne ne l’a vu, mais j’ai lancé un sort terrible. J’ai brûlé son cœur.
- Quoi ?! Tu as réussi à pénétrer la chair de ta flamme ? Je n’ai jamais entendu une chose pareille. L’échec de tant de membres de l’Ordre pour brûler une maladie intérieure me donnait l’impression que c’était entreprise irréalisable.
- Personne n’était prêt à en payer le prix fort. Le prix du ferrage. La progression de l’empreinte sur notre corps est habituellement lente et indolore. Sauf que ce jour, j’eus l’impression d’être lacéré par les griffes brûlante d’un phénix déchaîné. La moitié de ma peau fut recouverte dans des souffrances atroces.
- Pourquoi avoir tenté cela ? Tu devais bien t’en douter pour que cela ait échoué de tout temps jusqu’à ce jour.
- Que crois-tu ! s’emporta Kenta. Bien sûr que je m’en doutais ! Mais j’étais aveuglé par la rage. Notre maître Jarek assassiné sous mes yeux par le plus puissant phénicien qui n’a jamais existé, invincible de toute attaque extérieur grâce à son armure de feu. Je n’avais pas d’autre solution ! »


La tension de l’atmosphère resta un moment avant de retomber lorsque le Grand Sage s’échoua dans son fauteuil, effondré. Les sanglots le prirent tel un enfant perdu. Koray ne savait que faire, pris au dépourvu. C’est son ami qui s’appelait le Fort, pas lui. Jamais il n’avait fait montre de faiblesse, même en privé. Paralysé sur son fauteuil qui lui semblait désormais bien futile, il ne pouvait que subir cette détresse oppressante.

Le second à la barbe noire et aux proportions athlétiques réussit pourtant à briser la glace de cet instant.

« Que comptes-tu faire ? » s’enquit-il, avant de lui proposer une retraite paisible dans la forêt de Bragancine, sans aucun sortilège et ainsi s’en remettre à la nature au lieu de la magie.

La proposition reçut un accueil froid. Le regard de Kenta se fit absent, puis dériva vers l’âtre qui elle-même voyait ses flammes s’amenuiser par cette ambiance morose. Ce mutisme dura à nouveau, mais de façon beaucoup moins sereine pour Koray, définitivement inquiet devant la réaction du géant. Il faillit sursauter quand ce dernier reprit la parole.

« Non.
- Non ?
reprit le barbu.
- Non. Je vais l’annoncer au conseil, et faire part de mon choix. L’Exil. Si j’en suis déjà à l’Ultime à mon âge, c’est que je ne méritais pas d’être Grand Sage. J’ai trompé tout le monde. J’ai échoué dans tout ce que j’ai entrepris. Je ne deviendrais qu’amertume dans le ferment de mes regrets.
En fait, je n’ai pas de choix. La magie reprend ce qu’elle m’a donné. L’Exil est la seul solution. Ce serait lui mentir de s’accrocher à la vie. Flammes, cendres et renaissance. Telle est notre devise. Si je dois faire un acte sage qui correspond enfin à ma position, il s’agit bien de celui-ci. »


Les larmes montèrent au coin de l’œil de son ami, qui paraissait plus petit que jamais aux côtés du grand Kenta aux cheveux de feu.

Seulement, sa décision était prise, inébranlable.

Ils terminèrent leur soirée au coin du feu, profitant de leurs derniers moments communs à coups d’anecdotes plus heureuses les unes que les autres, avec le maigre espoir pour Koray d’observer un revirement subit chez son compagnon. Mais c’était peine perdue.

Dès le lendemain, Kenta réunit une assemblée générale. Ses déclarations causèrent l’émoi par la précocité de celles-ci, sans pour autant provoquer un effondrement du système. Ce n’était pas la première perte prématurée d’un Grand Sage.

Immédiatement, ses fonctions lui furent retirées et le conseil se rassembla. Le géant roux n’avait plus qu’à plier bagages et s’en aller dans une indifférence presque totale. Seul une poignée de fidèles vinrent lui faire des adieux. Un homme de pouvoir se respecte, en revanche, il ne s’aime pas. Plus d’attributions à une haute fonction, plus d’intérêt pour la personne, c’était aussi simple que cela.

Il partit à l’aube suivante sous le regard d’un petit comité constitué par Koray qui ne se résolvait pas à voir son ami sombrer banalement dans les oubliettes de la mémoire. L’image formait un joli tableau avec la lumière violette du soleil levant dont les rayons naissant auréolaient une ombre sur la ligne de l’horizon. Cette vision s’éteignit pourtant rapidement pour laisser place à un long et pénible périple.

Marcher une journée entière n’entrait plus dans ses habitudes, lui le haut phénicien qu’il fut, et les enchaîner encore moins. D’autant plus que ses pas le guidèrent sur des chemins piégeux et dangereux, ne lui offrant aucun répit. Il ne pouvait se protéger qu’à la force de ses bras, l’emploi de tout sortilège lui étant désormais prohibé jusqu’à ce qu’il atteigne sa destination.

En dépit des intempéries et de la méchanceté humaine, il parvint tout proche de son but, les monts de Glace. Arrivé aux pieds de la chaine montagneuse, lui qui n’avait jamais voyagé jusqu’ici, le massif se situant à l’écart du monde des hommes, put constater que les légendes disaient vraies. Ce n’était pas d’un manteau neigeux dont se couvraient ces géants de pierre touchant le ciel. Les montagnes se paraient d’armures bleutées, immenses plaques de glaces éternelles. Seuls les plus hauts pics se mouchaient de blanc tels de majestueux seigneurs couronnés trônant devant leurs fidèles. Cette beauté séculaire terrifia Kenta, pourtant peu farouche. L’ampleur de la tâche afin de parvenir au bout de son périple se révélait enfin. Le plus difficile restait à faire.

Il marcha, grimpa, tomba, glissa, descendit, regrimpa, retomba. Mais péniblement, toujours il avançait, à chaque fois se relevant, une dernière flamme brûlant au fond de son cœur, celle de la conviction. Plus qu’une tradition à respecter, il s’agissait d’un rachat pour son manque de sagesse. Qu’une avalanche lui croule sur le coin de la tête, et voilà que ce n’était que justice. Tout du moins essayait-il de s’en convaincre.

A force de courage, à moins que ce ne fût de la folie, il aboutit à ce qui pouvait s’apparenter au seul lieu saint de l’Ordre, le sommet du toit du monde, le mont Résur. Le géant roux, dont les cheveux étaient par ailleurs gelés dans une coloration brunâtre, apparaissaient dans ce tableau comme un simple moucheron. Il n’était surplombé que par les deux pics caractéristiques du mont sacré. La place se formait de la glace la plus pure qu’il avait rencontré jusqu’ici, miroir concave concentrant lumière et chaleur, empêchant ainsi la neige de s’y déposer. On racontait entre phéniciens que cette allure globulaire de la Chambre, telle avait-elle été nommée, prenait ses origines dans la combustion explosive du phénicien lors de leur dernier sortilège. Force fut de constater pour Kenta, ses légendes, devenues plaisanteries, s’avéraient probablement vraies.

Il était impossible de ne pas s’étaler à même le sol de la Chambre dans une glissade sans danger, si ce n’est pour sa dignité. Pour une personne normale. Un phénicien dans la force de l’âge diffuse constamment une chaleur corporelle plus élevée que le commun des mortels. Afin de profiter de cet état de fait, l’ancien Grand Sage avait délacé ses chausses. L’adhésion de ses pieds sur cette patinoire s’accompagnait alors de petites fumerolles.

Parvenu au centre de la dalle glacée, Kenta prit une grande inspiration, puis expira doucement comme lui avait appris la branche anachorète de l’Ordre. Impossible d’agencer clairement ses idées. Il ne devait pas reculer. Et pourtant, toute une série de flashs resurgissaient dans son esprit, souvenirs d’un traumatisme ancien. Le voilà envahit par un vide spirituel face à la mort. La renaissance par le feu était inscrite au plus profond de sa chair grâce à l’éducation qu’il avait reçu. Et pourtant, son expérience lui remémorait le contraire, lorsque son maître fut réduit en poussière par le terrifiant Sutehk. Le géant atterrissait face à ses démons anciens, son idole Jarek transformé en statue de glace puis pulvérisé à coups de bâton. Les phéniciens maîtrisent la flamme, pas l’eau et ses états. Ce mystère ne faisait que mettre en exergue son ignorance face au monde. Et s’il se trompait sur toute la ligne ?

Tourmenté, un cri mêlant rage et désespoir échappa rauquement de sa gorge. Il ne pouvait pas partir de cette façon, il avait tellement de chose à découvrir et accomplir. Sa résolution d’écrire l’Ultime s’amenuisa pour laisser place à une conviction nouvelle, implacable. Il devait tenter le tout pour le tout.

Il déchira avec peine et brusquerie le haut de sa robe pour demeurer à moitié dénudé, exposé au souffle glacial parcourant l’espace.

Qu’importe !

Il fourragea dans les manches pendouillantes de sa tenue pour y dégainer une plume d’un rouge vermillon encore magnifique malgré sa détérioration. On aurait pu l’assimiler à une plume de la queue d’un faisan, similaire en taille et forme en plus des nervures or la parcourant, mais il s’agissait bien d’une rectrice de phénix.

Sans hésitation, il la planta dans sa source, le point d’origine à l’intérieur de son poignet gauche d’où débutait son arborescence. Immédiatement, cette dernière s’alluma littéralement, irisant son corps entier de reflets rougeoyant.

Le temps jouait contre lui. Imprégné de son sang, il dirigea la pointe fébrilement vers le creux de son coude. De lettres de sang tremblotantes, il y écrivit sa dernière chance :
Tranche

Son tatouage s’anima d’un violent soubresaut qui le transperça de douleur. Une épée de feu jaillit du néant pour s’abattre violemment là où se trouvait inscrit sur sa peau le mot fatidique. La coupure fut nette et sans bavure, presque sans un jaillissement de sang, la plaie béante ayant été cautérisée par la flamme de l’arme.

Néanmoins, Kenta ne percevait pas le bout de sa souffrance. La combustion de son bras détaché s’opéra dans l’instant qui suivit. Comme le savait le géant, cela ne brûlait pas de manière banale. Plus aucun son ne parvenait à son oreille, saturé par l’explosion de son membre gisant. Il fut projeté contre la paroi de glace dans un craquement sinistre d’os. Malgré tout, il restait douloureusement conscient dans son état de stase.

Son regard, unique partait de son corps qui voulait bien lui répondre, pointait tristement sur l’épicentre de la déflagration. Il avait échoué. Sa mort lui paraissait imminente et ne pouvait que l’observer, impuissant mais terriblement lucide.

Il ne subsistait plus que quelques flammèches, au milieu de cendres voletantes aléatoirement dans les sillons des volutes de fumée. La scène lui dévoilait la réalité de son geste, un désastre de plus. Jusqu’au bout, l’erreur s’imprimait dans ses gênes.

Alors qu’il réussit à clore un instant ses paupières, un hoquet déchirant s’achemina jusqu’à ses oreilles. Cela provenait du centre du déchainement de flammes. Il rouvrit ses yeux qui cherchèrent l’origine de ce son. Sa vision se fixa sur une… chose. Elle était grande comme sa main, rabougrie, repoussante. Kenta ne put retenir la larme qui s’échappa du coin de son œil. Il s’agissait d’un fœtus. Qui plus est, en vie !

Pas le temps de s’émouvoir sur la situation qu’une décharge de souffrance le traversa. L’arborescence sur son corps ondulait de manière autonome à sa volonté et virait dans un blanc aveuglant, comme une surchauffe. En même temps, à l’arrière de sa tête, au bas de sa nuque, un filament du ferrage se décolla insidieusement de son épiderme, pointe silencieuse et menaçante, et alla se plante d’un geste vif dans son crâne par l’occiput.
Kenta se raidit soudainement, le regard absent.

Puis cet instant de vide passa. Le phénicien commença par bouger les doigts de sa main, puis son bras, suivi des jambes, et enfin la tête. Un petit sourire se dessina alors sur ses lèvres, tout fonctionnait. Mécaniquement, il se releva, ignorant ses blessures apparentes. Il traîna des pieds jusque devant la chose, s’accroupit, et la prit dans sa main valide.

« Mon enfant », murmura-t-il d’une voix d’outre-tombe.

Son arborescence s’immobilisa enfin, envahissant désormais tout son visage, puis reprit sa couleur charbon. Un éclat rouge traversa ses yeux.

Le robot de bois


Les hommes suaient à grosses gouttes. Le déchargement de la dernière fournée de charbon de bois, la plus laborieuse, annonçait la fin de la journée. Il fallait ensuite profiter du crépuscule, entre lumière et obscurité, pour rentrer au village.

Les quatre travailleurs achevaient de ranger leurs pelles lorsqu’une silhouette se dessina à l’orée de la clairière. Personne ne l’aperçut immédiatement, masquée par le soleil rasant. Une série de claquements se fit alors entendre. Dans un sursaut commun, tous se retournèrent, peu habitués à recevoir de la visite, mais surtout inquiet de cet étrange bruit. Ils plissèrent les yeux, certains main en visière, afin d’identifier un nouveau venu qui ne se cachait pas.

Au premier abord, il s’agissait d’un homme, un peu petit, mais dans le genre trapu. Sauf que la vue s’affinant, les charbonniers devinaient des formes trop anguleuses, carrées, pour appartenir au genre humain. La démarche légèrement syncopée accroissait le malaise ambiant. La créature, faute de nom, s’arrêta à distance raisonnable avant de lever péniblement un bras, accompagné de ses cliquetis secs et rugueux, déjà caractéristiques à leurs oreilles.

Aucun charbonnier n’entama un quelconque geste, paralysé dans une façade d’intimidation. Ils pouvaient enfin détailler du regard leur étrange visiteur. Et ce n’était pas pour les rassurer. La chose, couverte de nombreux glyphes à chaque articulation ainsi que sur tout le front et la poitrine, reprit sa marche mécanique. L’écriture à même le corps rougeoyait de plus en plus fort, et le pas devenait plus saccadé encore.

La tension était à son paroxysme lorsque la machine – le mot s’imposait à l’esprit des ouvriers – tendit une pince vers un morceau de charbon. Ce simple geste dégrisa toutes les forces en présence, comme un électrochoc. On ne touche pas au fruit d’un dur labeur. Trois des travailleurs empoignèrent leurs pelles et se déchainèrent sur la créature qui se retrouva à terre, sur le monceau charbonneux.

Le benjamin de la troupe vit alors, sans comprendre, les inscriptions sur la tête et les pectoraux de la machine virer du rouge à un blanc vif. Des clapets se rétractèrent à différent endroits de son anatomie et émirent des sifflements à briser les tympans. Les trois hommes surplombant la créature s’effondrèrent, hérissés d’aiguilles fumantes. Seulement alors, le jeune homme ressenti une douleur intense dans la jambe et l’épaule gauche. Pour autant, dans un instinct de survie féroce, le dernier charbonnier passa outre et s’enfuit en clopinant vers le village.

¤¤¤​

Je brûle de l’intérieur. Pourquoi ne me donne-t-il pas de charbon pour me soulager ? Que les braises de mon cœur artificiel brûlent autre chose que ma carcasse de bois. Les coups métalliques ne me font pas mal, ma seule souffrance n’est que brûlure. Et pourtant, je sens la fureur du feu s’emparer de moi. J’expulse.

¤¤¤​

Le village était en proie à l’agitation. Le retour du jeune charbonnier n’était pas passé inaperçu. A son chevet, la guérisseuse et son assistant enlevèrent délicatement les aiguilles. Elle en observa une attentivement, perplexe, à l’aide de sa pince pendant que son apprenti pansait les plaies du blessé. Elle sentait encore un léger halo de chaleur autour de l’arme longue comme sa main et fine comme une tige de marguerite. Comment peut-on tuer avec un objet qui semble aussi frêle ? Elle tenta de le briser en deux, en vain. Ce n’était pourtant que du bois. L’acier casserait plus facilement.

- Quelque chose ne va pas, Kalia ? demanda le doyen.

La réponse en suspens prit tout son sens dans le silence. Personne dans la petite assistance n’osait prendre la parole devant tant de mystère. Si l’on pouvait palper l’atmosphère à pleines mains, les doigts aurait sentis dans cristaux givrés tant tout le monde retenait son souffle, dans une immobilité propre à l’hiver.

La glace ne fut brisée que par le cri au haro du bûcheron. Bien que certaines de ses préoccupations devait être bien terre à terre puisque cette attaque concernait une part de son gagne-pain, son appel trouva un écho parmi les plus excités du village. On est peut-être des culs-terreux, mais on a notre fierté, criaient-t-il pour se justifier. Ils ne savaient rien de leur ennemi et pourtant, les voilà prêt à partir à l’assaut, fourches, marteaux et autre armes hétéroclites en mains.

Alors que cette milice improvisée armée de bric et de broc s’éloignait déjà, le convalescent s’éveilla.

¤¤¤​

J’ouvre ma mandibule inférieure et écrase le charbon pour l’ingérer. Je n’étais plus que fureur et douleur. Quel soulagement de sentir la chaleur refluer uniquement dans mes appareillages vitaux. Je ne comprends toujours pas pourquoi ces humains n’ont pas voulu me laisser me servir si le charbon me fait tant de bien. Le maître m’en donnait toujours. J’ai cru un moment que ce combustible me serait nocif et qu’ils voulaient me prévenir. Ma carapace refroidit et virent au noir. Mon scintillement ne m’éclaire plus suffisamment, je décide de passer en mode veille.

¤¤¤​

En tête du cortège, la colère laissa place à un sentiment d’inquiétude diffus. La nuit tombée, des torches avaient été allumées. Une brise légère jouait avec les flammes, provoquant un étrange ballet d’ombres, entre courbes et pointes. Certains témoins des paroles du survivant avant son coma ressassaient la description de l’agresseur, d’une façon différente à chaque fois à cause du manque de détails. La chose n’était que fureur et sons, une silhouette indistincte et scintillante crachant des aiguilles brûlantes dans un sifflement assourdissant.

Le pas le plus lent possible, ils débouchèrent pourtant rapidement sur la carrière. Qu’elle ne fut pas leur surprise lorsqu’ils virent presque immédiatement à la lueur de leurs torches l’agresseur, debout, tête penchée vers l’avant, comme endormi. La troupe s’arrêta devant, formant un arc de cercle à une distance raisonnable. La créature ressemblait à un gros bout de bois calciné, craquelé et noircit de partout, avec une forme humanoïde.

- C’quoi cette chose ? dit un des membres de la troupe.

A ces simples mots, la chose s’éveilla. Ou plutôt, s’alluma. Des glyphes rougeoyants apparurent sur la tête et recouvrirent progressivement le reste du corps à partir de cet épicentre. La chose releva alors la tête d’un geste brusque et découvrit ses yeux de verre jusque-là cachés par des volets coulissants.

La foule rassemblée hérissa d’un même geste leurs bêches, fourches et gourdins de fortune en reculant inconsciemment d’un pas. L’homme de bois embrassa de son regard vide l’assemblée en pivotant de façon inhumaine son cou. Les hommes tressaillirent, ne sachant comment réagir à la situation.

Ce qui faisait office de bouche à la créature ce mit à clinquer à un débit rapide.

L’assemblée fit encore un pas en arrière. Certains apostrophèrent la créature. Uniquement pour faire bonne mesure.

¤¤¤​

Je ne comprends pas les humains. Je comprends leurs paroles, mais je ne comprends pas les sens qui se cachent derrière. « Qu’est-ce que je fais là ? » Pourquoi cette question anodine les met dans une posture d’auto-défense ? J’aimerais tant pouvoir communiquer avec eux. C’est étrange. Pour la première fois de ma vie, je souhaite quelque chose. Toujours j’attendais les ordres de mon maître. Mon maître, mon créateur, le seul à comprendre mon langage. Mon souhait ne serait jamais né sans mon émancipation. Je comprends enfin la phrase de mon mentor. « Va chercher la liberté. » Une douce sensation s’empare de ma poitrine. J’aimerais tant que les humains me comprennent. Mais je ne peux que communiquer par ces claquements. Alors je communique comme je le peux.

¤¤¤​

La tension monta d’un cran lorsque la lueur du glyphe le plus imposant, au niveau du cœur, redoubla d’intensité. Un frisson parcouru le rassemblement. Les piques étaient brandies, plus menaçantes que jamais. Mais la foule ne reculait plus. Un accord inconscient s’était emparé d’eux ; on ne recule plus, on est chez nous, on est ensemble.

Un membre de cette milice improvisée, conscient de cette nouvelle motivation, lança alors sa fourche dans un élan de bravoure et d’idiotie. Elle toucha sa cible. Seulement, cela se limita un coup dans l’eau, l’arme ricochant comme une simple pomme de pin sur le tronc d’un arbre.

Pourtant, la créature réagit mal. Tout du moins, les hommes rassemblés le supposait lorsque les symboles sur la poitrine de la créature virèrent dangereusement du cramoisi à un blanc éblouissant. Toute la volonté de la foule ne pouvait rien face à ce sentiment de peur intime et étouffant, tous reculèrent d’un pas supplémentaire. L’héroïque idiot sentit couler jusqu’à ses chausses un liquide chaud. Il recula de trois pas.

Le clapet-mandibule de la chose redoubla d’activité.

¤¤¤​

Pourquoi ? Le jet de l’objet ne m’a pas fait mal. Mon corps est tellement dur qu’il en est presque indestructible. Mon maître disant qu’il avait fait en sorte de fossiliser celui-ci grâce à une chaleur intense. L’idée lui-était venue en observant la nature. C’est ce qu’il me disait. D’ailleurs, mon maître aussi me lançait toutes sortes d’objets sur moi. Il me traitait d’expérience raté. Je ne m’en offusquais pas. A l’époque, je ne connaissais pas le concept de colère. Il était mon maître, j’étais son serviteur. Alors pourquoi ? Pourquoi aujourd’hui je ressens ce mal dans ma poitrine ? Je ne souffre pourtant pas. La seule douleur que je connais, c’est la brûlure. Frustration, colère, dépit. Aujourd’hui, j’appréhende ces concepts, ceux dont mon maître me parlait, mais que je ne comprenais pas. Je ne comprends toujours pas, mais je le sais désormais, je dois chercher par moi-même la réponse. « Moi-même », encore une idée saugrenue. Mon cœur souffre d’un mal nouveau, mais je ne brûle pas de l’intérieur. Je dois comprendre. Je dois me faire comprendre.

¤¤¤​

Le lourd silence de la foule avait laissé place à un brouhaha d’invectives assez folklorique. Un « tête de crapaud noir » résonna sans que personne n’en saisisse le sens. « Monstre carré » était la plus relayé, peut-être car il s’agissait de la plus significative. Mais ce tohu-bohu paradoxalement rendait l’air plus respirable. Tout le monde se libérait d’un poids à moindre risque, la créature ne semblant pas réagir à cette affreuse cacophonie. Le silence semblait bien plus dangereux.

Pourtant, ce dernier revint au galop. L’étrange créature de bois essayait tant bien que mal de se faire entendre, son simili de bouche agité d’une fureur inextinguible et de plus en plus forte. La rupture eu lieu quand sa mandibule rompit sous le coup de sa frustration. Les glyphes parcourant sa tête changèrent alors eux aussi de couleur, vers ce blanc que tous avec déjà catalogué ainsi : danger. La scène n’était plus qu’une peinture, forte de sens dans son image, sourde dans sa conception. La foule offrait le spectacle d’un hérisson, compact et piquant. La chose, elle, dévoilait ses petits clapets mécaniques, gueules affreuses d’où pouvait surgir à tout instant la mort.

La peur planait au-dessus de la carrière. Elle saisissait tous les protagonistes, humains, oiseaux et créatures.

Un cri déchira la toile de ce tableau en-dehors du temps. « Arrêtez ! »

La voix du jeune charbonnier résonna à l’orée de la carrière, faible, et pourtant si audible. Il se relevait laborieusement, un genou à terre. A côté de lui, la guérisseuse du village. Celle-ci avait porté le convalescent sur son dos jusqu’ici. La conviction de son patient vibrait encore entre ses oreilles lorsque celui-ci avait pris la parole après son réveil. Elle s’était alors transcendée pour l’amener sur les lieux du drame, bien aidée par son physique imposant de la matrone qui ne s’en laisse pas remontrer.

« Ne faites pas de folie » furent les seuls autres mots que daigna lancer le charbonnier à l’assemblée. Boitant, trainant la patte, le souffle rauque de la personne à l’article de la mort, il s’approcha par sa simple volonté auprès de la créature. Il leva alors la main. Impossible de toucher la créature tant la chaleur irradiait de sa carcasse mécanique.

- Tu chauffes, dit le jeune homme en esquissant un sourire.

Ce visage plein de sérénité apaisa son vis-à-vis. Ses clapets se refermèrent de façon sonore, et les symboles recouvrant son corps reprirent son irisation tranquille, expurgé de ce blanc où la peur suintait d’une manière viscérale.

Le charbonnier se tourna alors vers ses concitoyens, ses amis pour beaucoup. La même famille. Il leur adressa la parole.

- Allez chercher la lance à incendie près de la citerne, et ramenez la ici.

Personne ne réagit dans l’instant, un air de béatitude à gober les mouches.

- Faites-moi confiance, reprit le jeune homme. Il se retourna vers la créature et lui répéta. Fais-moi confiance.

Les plus lucides s’activèrent dans un concert de soulagement, comme s’ils avaient trouvé la solution. Pourtant, aucun ne comprenait les tenants et les aboutissants de leurs actes. Pas même le charbonnier. Un être de bois brûlait de l’intérieur. Il suffit de l’arroser.

Et c’est ce qu’ils firent. Ils connectèrent la pompe à la lance et l’actionnèrent assez difficile l’engin légèrement grippé par la rouille.

La créature accueillit ce jet salvateur stoïquement, inexpressive comme sa condition de machine le lui imposait. Durant un temps, l’inquiétude sourdait encore dans la poitrine de chacun, leur cœur jouant du tambourin à une vitesse folle. Tous restaient impassibles, excepté ceux qui s’évertuaient sur la pompe. Rien ne se passait.

Les minutes défilaient. Ou peut-être le secondes seulement. Le temps était suspendu, arrêté par le souffle de la foule. La nature elle aussi inspirait et expirait dans un même instant.

Un spectacle incroyable se passa alors sous les yeux de tous. Les glyphes de la créature perdirent s’atténuèrent jusqu’à s’éteindre. Ils furent alors recouverts par un ensemble de branches noueuses comme du lierre. Elles jaillissaient de la poitrine de la créature pour s’enrouler tout autour de son corps, dans un ballet de bourgeonnements.

La lance à incendie cracha une dernière goutte d’eau.

¤¤¤​

La sensation de l’eau est merveilleuse. J’aimerais tant que cela ne s’arrête jamais. J’avais déjà connu la pluie, mais la quantité n’était pas suffisante pour m’offrir ce sentiment de bien-être extatique. Je regrette déjà de voir les petits hommes stopper leur engin à eau. Petits hommes ? Je regarde mes pieds. Ils sont loin. J’ai beaucoup grandi. Je lèvre une jambe. Quelle incroyable mobilité ! Un rire s’échappe de ma gorge. Je suis vivant !

Rôles Play


Anseilm et Kissi - Incomplet

by Kissi
 
Dernière édition par un modérateur:

DeletedUser521

Guest
Rien qu'à l'évocation d'une heineken, cela me comble de joie... Je n'ai donc poussé plus loin la lecture, pour le moment. :p

En espérant qu'le breton va bien...? :)
 

DeletedUser

Guest
J'ai cessé ma lecture à la fin de la partie " Poèmes ". Ce soir au seuil du sommeil, pour s'endormir avec ce mielleux sirop dans la salive, je lirai tes nouvelles!

Pour l'instant, c'est PIQUANT ET CAPTIVANT !!!


Quand je saute deux lignes, je saute deux lignes :cool: (une critique pour un poème toutes les deux lignes vides, dans l'ordre)



Dès le premier " poème ", j'ai poussé un cri de joie. Enfin une forme qui se caractérise par une originalité nouvelle, à toi tout seul tu souffles les piètres écrits exposés si bas. Un style neuf, appétissant et à creuser. Tu peux faire de la beubom <3


Bon, le castor jumelé avec un canard, là: haut-le-cœur au début de l'extase, première fausse note. Malgré sa minimalité, elle méritait d'être soulignée. " Note : La faute d'ornithorynque est volontaire ;) " Le lecteur ne peut pas deviner, pourquoi ? Pour te faciliter la tâche ? Pour faire peur ? Explique!
(ou bien c'est moi le rustre crétin qui n'a pas su trouver le pourquoi si évident et que le reste du monde sait, lui, dans ce cas je m'excuse :p)
Néanmoins, une forme encore une fois intéressante. Moi je dis, rajoute toi plus de contraintes, pour nous faire de belles prouesses ! Ex: rimes ? assonances ? Allez :D


Yaaaaaaaan. Comme tu nous incites à vivre, et les emos, ils ont pas le droit de se suicider tranquille, hein ? x]


Culpabilisation power = moment de déprime ? (j'ai connu ça) Je ne pense pas qu'il soit bon de blâmer l'humanité, nous sommes des parasites sans vouloir en être, nous ne détruisons pas par pur plaisir, si ? Non, par intérêt, là est la nuance. Le plaisir dans la destruction, c'est pour les aliénés (la folie ? une sous-marque de l'Humanité, nous sommes d'accord), mais l'intérêt dans la destruction, c'est normal, voir banal, c'est dans les gestes de tout le monde.
Bref, j'avais envie de dire nawak, voilà qui est fait.
Tiens, pense à tes accords >>> " Et nous couvrent d'immonde pustules. "
La forme est cette fois sobre, peut être trop, mais on n'y fait pas attention. Dans ces cas-là, même si ça t'ennuie, go alexandrin!


Même commentaire que le précédent sur la forme;
" Le goudron et ses infamies.
On aurait pu y faire de l'astronomie...
"
Ce rime fait tâche, c'est assez déroutant. On dirait que c'est du remplissage, wtf l'astronomie ? osef, vive les spaghettis !
Bon, les rimes ne sont pas toujours respectés, tant pis.
" (bien accompagné) ", tu veux dire quoi ? c'est hors-texte pour la musique ou .. ?


" Les bruits et sons des buissons fournit par un vent vêtu de feuilles aux courbes féminines bercent mon esprit. "
Pourquoi un T à " fournis " ?
Cette phrase est lourde est maladroite, dommage. Comme quelques-unes qui suivent, hélas.
Néanmoins, petit texte assez bon. c poètik :D


Arg! nan, me voilà stoppé dans ma critique par l'alléchant appel de la cuisine, voilà quelques bouffetances qui me forcent à cesser toutes activités autre que s'en foutre plein la panse, excuse-moi ^^

Je reviendrai, muahahahahahahahahahahahahahahhahahahahahahahahahahhahahahahahahhahahahahahahhahaha














ps: belle fin, hein ? ça fait comme si j'étais le méchant et tout.
 

DeletedUser162

Guest
Ah bah suffise que je réclame ^^

Je réponds sous le même format que toi ;)


Oui, c'est top comme format, mais ça demande plus d'imagination qu'un poème plus classique, donc plus difficile à réitérer.


(Pour me faciliter la tâche enfoiré xD) Pas de rime, c'est volontaire aussi, la poésie ne réside pas que dans la sonorité, mais aussi dans le format, le visuel.


Si si, ils ont le droit :eek:


Non, pas de déprime, juste une réflexion assez noire :). Je n'ai pas mis mon poème en alexandrins ? J'en ai fait un (raté d'ailleurs), je le mets de suite (avec un autre). Pour la forme plus classique, j'ai envie de dire qu'avant de passer des trucs plus expérimental, on se doit de maîtriser à peu près tout, voir dans quel format on est le plus à l'aise.


"Infamies" = "constellation de chewing gum et autres débris de verre que l'on trouve sur le trottoir". c'est une métaphore quoi, ça ne me semblait pas artificiel. Les rimes ne sont pas toujours respectés pour figurer un élément en rupture avec le reste qui brise ce charmant tableau.
Le "bien accompagné" est là pour signifier la cause du vomissement, le mec est bourré quoi.


Bon, j'avoue que celui-ci n'est pas mon plus réussi, je voulais aller à fond dans la fibre lyrique, donc overdose au final.


Bref, je rajoute deux poèmes, et pour les nouvelles, tu as déjà dû les lire, et même sûrement les commenter.
 

DeletedUser

Guest
Oh oui, effectivement, des lectures passées! bon

maintenant, au boulot, va pondre d'autres manuscrits x)

et commenter ma galerie, sur le chemin.
 

DeletedUser

Guest
Je continue mes commentaires, et tu as intérêt à aller en faire dans ma bibliothèque è_é

Une vie de bougie
" Une brise me souffle, folle flammèche qui lèche tes ailes. " Les ailes de qui, s'il te plaît ? :D Je n'ai pas bien compris. Sinon un texte court, néanmoins très bon > On voit que tu t'es fait plaisir ^^
Par contre, la fin, je la trouve mal formulée à moins que ce soit un effet voulu, une ambiguité travaillée, car on ne sait pas trop s'il finit par décéder en un " pfiou " ou si c'est un " pfiou " de soulagement ' j'ai survécu '


Souffrance de l'illusion
Une seule remarque (à croire que je ne jure que par ça): go alexandrins !
planete_smiley_com_lol%20(41).gif



Déliquescence ?
V'là du lourd. Y a de la recherche, et ça a un sens, que demande le peuple ? (de la brioche :x)


L'eau
La métaphore m'a transporté, j'ai lu ce poème 4 fois (attention ^^), j'adore. Très bien trouvé.




Bon, pour les nouvelles, je te les ai normalement déjà commenté ;)

Donc go dans ma bibliothèque :s
 

DeletedUser162

Guest
Avoues que mon alexandrin pas alexandrin t'a fait bander !

Bon, je commenterais ta galerie dans la semaine coco >_<
 

DeletedUser162

Guest
Bonsoir,

Mon dernier petit texte. C'est sous forme de nouvelle, mais il s'agit en fait d'un travail préparatoire pour mon roman. De ce fait, il s'agit d'un premier jet, non relu et non recorrigé. Je demande donc l'indulgence des plus tâtillons d'entre vous.
En espérant que cela vous plaise.
Kissi

PS : Est dispo une version peut-être plus agréable à lire à l'adresse suivante.


Kenta

Kenta regardait les flammes de l’âtre rougeoyer, le regard vide et inaccessible. Koray, seul ami intime et second de la confrérie, l’observait broyer du noir dans son fauteuil fétiche, création d’un célèbre artisan misha. Ils avaient pour habitude de tenir leurs réunions les plus secrètes comme les plus amicales ici même, lui installé dans le fauteuil d’en face.

Seulement, il était ici attablé à son bureau un peu plus loin, en train de griffonner du courrier, à l’aide d’une simple plume d’oie et d’une encre bleue scintillante comme l’eau au soleil, à expédier dans les quatre coins du monde. Il soupira donc, faisant mine d’ignorer son ami qui restait dans le silence le plus obtus.

Il avait débarqué comme souvent, à l’improviste la plus totale, suivi d’un souffle chaud habituel, sans un mot, pour se laisser tomber sur son trône de fauteuil, seul espace de la guilde où on le laissait tranquille. Le feu de la cheminé crépitait déjà joyeusement quand des tentacules orangées s’étirèrent langoureusement pour venir pourlécher ses doigts dans un signe de contentement chaleureux, reconnaissant l’un de ses maîtres. Kenta émit alors sèchement un claquement de langue, repoussant ainsi les flammèches qui lui obéirent promptement, virant dans une teinte plus rouge en signe de déception. Mais le Grand Sage de l’Ordre de Cendres ignora cela d’un air maussade.

Ce spectacle silencieux durait depuis un moment puisque le sablier ornemental qui trônait fièrement sur la table de travail avait vu s’écouler une bonne part de sa cendre qui virevoltait dans la moitié inférieure.

Il fallut attendre que Koray mette un point final à sa correspondance pour lever à nouveau les yeux. Il se leva alors et vint s’assoir paisiblement dans son fauteuil personnel. Kenta ne daigna toujours pas croisa leurs regards, tapotant lentement son accoudoir. Son ami attendit patiemment, de façon bienveillante. Il sentait bien qu’une pensée noire et inhabituelle trottait dans la tête de son compagnon. Il savait que son camarade de toujours ne supportait jamais bien longtemps son air de confesseur.

Kenta brisa alors le silence d’un murmure terrible.

« J’arrive à l’Ultime, Koray. »

Un sentiment d’incrédulité s’empara de son interlocuteur. Ce dernier faisait un rapide calcul de son âge. Malgré sa situation au sein de l’Ordre, Kenta avait tout juste atteint la trentaine. Certes, un phénicien faisait rarement de vieux os, leur espérance de vie étant intimement lié à l’usage de leur magie. Il existait même un statut particulier, celui du plus Sage, pour le membre de la guilde le plus ancien, et donc par voie de fait qui avait usé le plus sagement de son pouvoir.

En l’occurrence, Kenta fut bien plus dispendieux de son don. Il affichait une mine abattue comme rarement il l’avait vu. Il pouvait énumérer ces instants sur une seule main. La mort prématurée de sa fille, l’échec diplomatique au conseil des Cinq, la mort de leur maître lors de la guerre des Cendres.

« Montre-moi. »

Docilement, le Grand Sage déploya son immense et épaisse carcasse de deux mètres avant d’entreprendre la défection du haut de son habit. Il faut comprendre que la tenue vestimentaire d’un phénicien présente des spécificités. Si le commun des mages pouvait choisir la couleur de leur grande robe, le chef de l’ordre devait obligatoirement arborer un bleu quasiment surnaturel, symbole d’une combustion intégrale. Tous par contre voient leur vêtement couvrir entièrement le corps du cou aux chevilles. Leur robe offre donc comme caractéristique visible au premier coup d’œil un col haut et large masquant jusqu’à la glotte. Plus discret, la manche gauche, parfois droite, dévoile au niveau du poignet un léger trou qui marque l’origine de l’arborescence du phénicien. Car l’objectif est de cacher cette sorte de tatouage vivant à son prochain, symbole du capital magique restant à son utilisateur. Seul l’intérieur des mains et des pieds ainsi que la tête étaient épargnés par ce phénomène à son terme.

Quand le haut tomba, Kenta dévoila une arborescence, au repos, c’est-à-dire noire comme la calcination, qui voyait grimper une pointe jusque sous la gorge. Il était rare pour quiconque de voir une ferrade, autre nom de l’arborescence qui marquait beaucoup plus la soumission à la magie du feu, complète. Koray ne put dissimuler son air impressionné en assistant à ce spectacle. Les motifs de chaque phénicien étaient uniques, et ceux de son ami formaient un florilège enchevêtré à l’instar d’une plante grimpante tenace comme le chèvrefeuille.

« En effet, tu sembles arrivé à ton dernier sortilège. C’est bien l’Ultime. Comment est-ce possible, si tôt ? demanda Koray.
- Rappelle-toi de la guerre. D’après toi, comment ai-je pu battre le meurtrier de notre maître, Sutehk ? Personne ne l’a vu, mais j’ai lancé un sort terrible. J’ai brûlé son cœur.
- Quoi ?! Tu as réussi à pénétrer la chair de ta flamme ? Je n’ai jamais entendu une chose pareille. L’échec de tant de membres de l’Ordre pour brûler une maladie intérieure me donnait l’impression que c’était entreprise irréalisable.
- Personne n’était prêt à en payer le prix fort. Le prix du ferrage. La progression de l’empreinte sur notre corps est habituellement lente et indolore. Sauf que ce jour, j’eus l’impression d’être lacéré par les griffes brûlante d’un phénix déchaîné. La moitié de ma peau fut recouverte dans des souffrances atroces.
- Pourquoi avoir tenté cela ? Tu devais bien t’en douter pour que cela ait échoué de tout temps jusqu’à ce jour.
- Que crois-tu ! s’emporta Kenta. Bien sûr que je m’en doutais ! Mais j’étais aveuglé par la rage. Notre maître Jarek assassiné sous mes yeux par le plus puissant phénicien qui n’a jamais existé, invincible de toute attaque extérieur grâce à son armure de feu. Je n’avais pas d’autre solution ! »


La tension de l’atmosphère resta un moment avant de retomber lorsque le Grand Sage s’échoua dans son fauteuil, effondré. Les sanglots le prirent tel un enfant perdu. Koray ne savait que faire, pris au dépourvu. C’est son ami qui s’appelait le Fort, pas lui. Jamais il n’avait fait montre de faiblesse, même en privé. Paralysé sur son fauteuil qui lui semblait désormais bien futile, il ne pouvait que subir cette détresse oppressante.

Le second à la barbe noire et aux proportions athlétiques réussit pourtant à briser la glace de cet instant.

« Que comptes-tu faire ? » s’enquit-il, avant de lui proposer une retraite paisible dans la forêt de Bragancine, sans aucun sortilège et ainsi s’en remettre à la nature au lieu de la magie.

La proposition reçut un accueil froid. Le regard de Kenta se fit absent, puis dériva vers l’âtre qui elle-même voyait ses flammes s’amenuiser par cette ambiance morose. Ce mutisme dura à nouveau, mais de façon beaucoup moins sereine pour Koray, définitivement inquiet devant la réaction du géant. Il faillit sursauter quand ce dernier reprit la parole.

« Non.
- Non ?
reprit le barbu.
- Non. Je vais l’annoncer au conseil, et faire part de mon choix. L’Exil. Si j’en suis déjà à l’Ultime à mon âge, c’est que je ne méritais pas d’être Grand Sage. J’ai trompé tout le monde. J’ai échoué dans tout ce que j’ai entrepris. Je ne deviendrais qu’amertume dans le ferment de mes regrets.
En fait, je n’ai pas de choix. La magie reprend ce qu’elle m’a donné. L’Exil est la seul solution. Ce serait lui mentir de s’accrocher à la vie. Flammes, cendres et renaissance. Telle est notre devise. Si je dois faire un acte sage qui correspond enfin à ma position, il s’agit bien de celui-ci. »


Les larmes montèrent au coin de l’œil de son ami, qui paraissait plus petit que jamais aux côtés du grand Kenta aux cheveux de feu.

Seulement, sa décision était prise, inébranlable.

Ils terminèrent leur soirée au coin du feu, profitant de leurs derniers moments communs à coups d’anecdotes plus heureuses les unes que les autres, avec le maigre espoir pour Koray d’observer un revirement subit chez son compagnon. Mais c’était peine perdue.

Dès le lendemain, Kenta réunit une assemblée générale. Ses déclarations causèrent l’émoi par la précocité de celles-ci, sans pour autant provoquer un effondrement du système. Ce n’était pas la première perte prématurée d’un Grand Sage.

Immédiatement, ses fonctions lui furent retirées et le conseil se rassembla. Le géant roux n’avait plus qu’à plier bagages et s’en aller dans une indifférence presque totale. Seul une poignée de fidèles vinrent lui faire des adieux. Un homme de pouvoir se respecte, en revanche, il ne s’aime pas. Plus d’attributions à une haute fonction, plus d’intérêt pour la personne, c’était aussi simple que cela.

Il partit à l’aube suivante sous le regard d’un petit comité constitué par Koray qui ne se résolvait pas à voir son ami sombrer banalement dans les oubliettes de la mémoire. L’image formait un joli tableau avec la lumière violette du soleil levant dont les rayons naissant auréolaient une ombre sur la ligne de l’horizon. Cette vision s’éteignit pourtant rapidement pour laisser place à un long et pénible périple.

Marcher une journée entière n’entrait plus dans ses habitudes, lui le haut phénicien qu’il fut, et les enchaîner encore moins. D’autant plus que ses pas le guidèrent sur des chemins piégeux et dangereux, ne lui offrant aucun répit. Il ne pouvait se protéger qu’à la force de ses bras, l’emploi de tout sortilège lui étant désormais prohibé jusqu’à ce qu’il atteigne sa destination.

En dépit des intempéries et de la méchanceté humaine, il parvint tout proche de son but, les monts de Glace. Arrivé aux pieds de la chaine montagneuse, lui qui n’avait jamais voyagé jusqu’en ces contrées, le massif se situant à l’écart du monde des hommes, put constater que les légendes disaient vraies. Ce n’était pas d’un manteau neigeux dont se couvraient ces géants de pierre touchant le ciel. Les montagnes se paraient d’armures bleutées, immenses plaques de glaces éternelles. Seuls les plus hauts pics se mouchaient de blanc tels de majestueux seigneurs couronnés trônant devant leurs fidèles. Cette beauté séculaire terrifia Kenta, pourtant peu farouche. L’ampleur de la tâche afin de parvenir au bout de son périple se révélait enfin. Le plus difficile restait à faire.

Il marcha, grimpa, tomba, glissa, descendit, regrimpa, retomba. Mais péniblement, toujours il avançait, à chaque fois se relevant, une dernière flamme brûlant au fond de son cœur, celle de la conviction. Plus qu’une tradition à respecter, il s’agissait d’un rachat pour son manque de sagesse. Qu’une avalanche lui croule sur le coin de la tête, et voilà que ce n’était que justice. Tout du moins essayait-il de s’en convaincre.

A force de courage, à moins que ce ne fût de la folie, il aboutit à ce qui pouvait s’apparenter au seul lieu saint de l’Ordre, le sommet du toit du monde, le mont Résur. Le géant roux, dont les cheveux étaient par ailleurs gelés dans une coloration brunâtre, apparaissaient dans ce tableau comme un simple moucheron. Il n’était surplombé que par les deux pics caractéristiques du mont sacré. La place se formait de la glace la plus pure qu’il avait rencontré jusqu’ici, miroir concave concentrant lumière et chaleur, empêchant ainsi la neige de s’y déposer. On racontait entre phéniciens que cette allure globulaire de la Chambre, telle avait-elle été nommée, prenait ses origines dans la combustion explosive du phénicien lors de leur dernier sortilège. Force fut de constater pour Kenta, ses légendes, devenues plaisanteries, s’avéraient probablement vraies.

Il était impossible de ne pas s’étaler à même le sol de la Chambre dans une glissade sans danger, si ce n’est pour sa dignité. Pour une personne normale. Un phénicien dans la force de l’âge diffuse constamment une chaleur corporelle plus élevée que le commun des mortels. Afin de profiter de cet état de fait, l’ancien Grand Sage avait délacé ses chausses. L’adhésion de ses pieds sur cette patinoire s’accompagnait alors de petites fumerolles.

Parvenu au centre de la dalle glacée, Kenta prit une grande inspiration, puis expira doucement comme lui avait appris la branche anachorète de l’Ordre. Impossible d’agencer clairement ses idées. Il ne devait pas reculer. Et pourtant, toute une série de flashs resurgissaient dans son esprit, souvenirs d’un traumatisme ancien. Le voilà envahit par un vide spirituel face à la mort. La renaissance par le feu était inscrite au plus profond de sa chair grâce à l’éducation qu’il avait reçu. Et pourtant, son expérience lui remémorait le contraire, lorsque son maître fut réduit en poussière par le terrifiant Sutehk. Le géant atterrissait face à ses démons anciens, son idole Jarek transformé en statue de glace puis pulvérisé à coups de bâton. Les phéniciens maîtrisent la flamme, pas l’eau et ses états. Ce mystère ne faisait que mettre en exergue son ignorance face au monde. Et s’il se trompait sur toute la ligne ?

Tourmenté, un cri mêlant rage et désespoir échappa rauquement de sa gorge. Il ne pouvait pas partir de cette façon, il avait tellement de chose à découvrir et accomplir. Sa résolution d’écrire l’Ultime s’amenuisa pour laisser place à une conviction nouvelle, implacable. Il devait tenter le tout pour le tout.

Il déchira avec peine et brusquerie le haut de sa robe pour demeurer à moitié dénudé, exposé au souffle glacial parcourant l’espace.

Qu’importe !

Il fourragea dans les manches pendouillantes de sa tenue pour y dégainer une plume d’un rouge vermillon encore magnifique malgré sa détérioration. On aurait pu l’assimiler à une plume de la queue d’un faisan, similaire en taille et forme en plus des nervures or la parcourant, mais il s’agissait bien d’une rectrice de phénix.

Sans hésitation, il la planta dans sa source, le point d’origine à l’intérieur de son poignet gauche d’où débutait son arborescence. Immédiatement, cette dernière s’alluma littéralement, irisant son corps entier de reflets rougeoyant.

Le temps jouait contre lui. Imprégné de son sang, il dirigea la pointe fébrilement vers le creux de son coude. De lettres de sang tremblotantes, il y écrivit sa dernière chance :
Tranche

Son tatouage s’anima d’un violent soubresaut qui le transperça de douleur. Une épée de feu jaillit du néant pour s’abattre violemment là où se trouvait inscrit sur sa peau le mot fatidique. La coupure fut nette et sans bavure, presque sans un jaillissement de sang, la plaie béante immédiatement cautérisée par la flamme de l’arme.

Néanmoins, Kenta ne percevait pas le bout de sa souffrance. La combustion de son bras détaché s’opéra dans l’instant qui suivit. Comme le savait le géant, un phénicien ne brûlait pas de manière banale. Plus aucun son ne parvenait à son oreille, saturé par l’explosion de son membre gisant. Il fut projeté contre la paroi de glace dans un craquement sinistre d’os. Malgré tout, il restait douloureusement conscient dans son état de stase.

Son regard, unique partie de son corps qui voulait bien lui répondre, pointait tristement sur l’épicentre de la déflagration. Il avait échoué. Sa mort lui paraissait imminente et il ne pouvait que l’observer, impuissant mais terriblement lucide.

Il ne subsistait plus que quelques flammèches, au milieu de cendres voletant aléatoirement dans les sillons des volutes de fumée. La scène lui dévoilait la réalité de son geste, un désastre de plus. Jusqu’au bout, l’erreur s’imprimait dans ses gênes.

Alors qu’il réussit à clore un instant ses paupières, un hoquet déchirant s’achemina jusqu’à ses oreilles. Cela provenait du centre du déchainement de flammes. Il rouvrit ses yeux qui cherchèrent l’origine de ce son. Sa vision se fixa sur une… chose. Elle était grande comme sa main, rabougrie, repoussante. Kenta ne put retenir la larme qui s’échappa du coin de son œil. Il s’agissait d’un fœtus. Qui plus est, en vie !

Pas le temps de s’émouvoir sur la situation qu’une décharge de souffrance le traversa. L’arborescence sur son corps ondulait de manière autonome à sa volonté et virait dans un blanc aveuglant, comme une surchauffe. En même temps, à l’arrière de sa tête, au bas de sa nuque, un filament du ferrage se décolla insidieusement de son épiderme, pointe silencieuse et menaçante, et alla se planter d’un geste vif dans son crâne par l’occiput.

Kenta se raidit soudainement, le regard absent.

Puis cet instant de vide passa. Le phénicien commença par bouger les doigts de sa main, puis son bras, suivi des jambes, et enfin la tête. Un petit sourire se dessina alors sur ses lèvres, tout fonctionnait. Mécaniquement, il se releva, ignorant ses blessures apparentes. Il traîna des pieds jusque devant la chose, s’accroupit, et la prit dans sa main valide.

« Mon enfant », murmura-t-il d’une voix d’outre-tombe.

Son arborescence s’immobilisa enfin, envahissant désormais tout son visage, puis reprit sa couleur charbon. Un éclat rouge traversa ses yeux.
 
Dernière édition par un modérateur:

DeletedUser

Guest
Un très bon texte, prenant jusqu'au bout ! Je ne l'ai lu qu'une seule fois donc j'avoue que ce n'est pas une analyse très détaillée, mais vraiment ça m'a beaucoup plu !

Je ferai un commentaire plus élaboré quand je le lirai une deuxième fois :)
 

DeletedUser162

Guest
Merci Bachtel :]

Je viens de le relire et d'y apporter quelques corrections. Ça piquera un peu moins les yeux ;)

C'est vrai qu'à la relecture, c'est pas mal. Ça parait moins laborieux que lorsque l'on écrit. Mais bon, faut que j'arrête de m'envoyer des fleurs xD
 

DeletedUser

Guest
Dans les deux premiers paragraphes, c'est très flou sur qui est qui. " dans son fauteuil fétiche " me paraît l'un des responsables, puisque c'est Kenta qui y est, pourtant il apparaît dans une phrase qui parle de Koray. L'emploi de la troisième personne du singulier renforce aussi ce flou, rien n'indique souvent qui il désigne.
cheminé -> cheminée
Dialogue : " La moitié de ma peau fut recouverte dans des souffrances atroces. " Je trouve l'emploi de l'adj. " recouverte " assez peu efficace pour ce que tu veux dire.
" Néanmoins, Kenta ne percevait pas le bout de sa souffrance. " BERK​


Alors, ouais. Ça fait longtemps que je ne t'avais pas lu, toi. C'est un premier jet, ça se sent. Beaucoup de phrases à rallonge qui sonnent mal, qui pourraient être divisées pour plus de clarté et de fluidité. Particulièrement dans la partie où Koray et Kenta se parlent, je t'ai trouvé maladroit. Tu sembles hésiter, pour désigner tes personnages : " le barbu ", " le grand sage ", etc. Qui plus est, certaines informations surviennent pour désigner les personnages, sans qu'elles nous aient été présentés comme appartenant à ce personnage auparavant. C'est déroutant ^^

Bon, passée cette partie que je juge peu aboutie, j'ai beaucoup plus apprécié à partir du moment où les dialogues disparaissaient. Étrange, non ? A partir de là, j'ai apprécié le retour de ta maîtrise.

Ça, c'était pour la forme. Maintenant dans le fond, je n'aime pas ces sociétés magiques hiérarchisées avec respect, honneur et tout le paquetage, tout simplement parce que c'est très loin de ce que je pense de l'homme, même dans un monde imaginaire. Par contre, j'adore les idées assez classes de magie que tu nous montres. Particulièrement, le marquage du corps, ses singularités esthétiques, et ses multiples étapes. Le sacrifice final, jouissif :inlove: et l'apparition d'un fœtus dégueulasse à la fin, ah ! quelle vision magnifique. Et puis, la maîtrise du feu, quoi ! Ça, c'est pas de la magie de mauviette !

C'est dur pour moi de commenter de la SFFF (comme tu dis :p) parce que je m'en suis beaucoup éloigné, mais ce fut agréable. J'espère que tu vas retravailler cette nouvelle (ce début de nouvelle ?) et nous la montrer plus aboutie.

Bisous et continue comme ça :)
 

DeletedUser162

Guest
Merci de ta critique, je te réponds dans l'ordre.

Ca ne me semblait pas trop flou, étant donné qu'avant chaque "il", il y a la nomination du personnage auquel il se réfère (Kenta, puis Koray, puis l'ami de Koray, donc Kenta, seul autre présent). Bref, à chaque nomination, il y a un basculement. Mais bon, je suis mauvais juge en tant qu'auteur sur ce genre de chose, c'est plus clair dans ma tête. Je evrrais ce que je peux faire pour plus de clarté ^^.

Merci pour l'ortho.

Je ne vois pas d'autre mot que "recouverte" pour exprimer ce que je veux dire. Je ne pense pas me tromper sur son emploi pour l'image que je veux faire passer perso.

Hum, oui, j'avoue c'est moche. J'ai trop voulu limiter les répétitions, donc des fois, ça donne des trucs laids. Je modifierais ça.

Là, je ne comprends pas. ca doit être au niveau du ressenti, parce que dans la partie dont tu parles, aucune phrase ne dépasse une ligne et demi, alors que dans la longue partie narrative, dans la seconde moitié, c'est globalement plus long. Je voudrais bien un ou deux exemples pour voir. C'est d'autant plus étrange comme constat que la première moitié du texte, donc celle avec les dialogue, coulait beaucoup beaucoup plus facilement de mes pensée, alors que la partie narrative m'a été très laborieuse. Peut-être que c'est mieux quand j'écris en galérant que quand j'écris à l'instinct xD. Bref, j'ai eu le sentiment inverse de toi à l'écriture, ça change peut-être à la lecture.

Par contre, t'as totalement raison pour dire que je galérais à nommer mes personnages autrement que par leur nom. C'est parce que je suis partie bille en tête dans l'écriture sans image des persos en tête, ni statut particulier. Je vais essayer d'uniformiser ça, et de rendre la chose plus claire.

Maîtrise = réflexion plus longue sur la phrase ? Lire mon commentaire deux paragraphes au-dessus.

Hum, le coup de la société hiérarchisé, c'est inévitable, mais pas comme tu le décris. Tout simplement parce que je ai dévoilé à peine un millième des idées que j'ai pour ce monde. Wait and see. Mais bon, chacun ses goûts et couleurs. En tout cas j'apprécie que le système magique que je mets en place te plaise, car j'ai essentiellement réfléchi sur ça pour le moment. Ca devient de plus en plus dur d'être original dans ce domaine avec tout ce qui a été fait auparavant.

Content que ça t'ai plu malgré mes imprécisions. J'essaie de travailler plus le fond que la forme actuellement, sachant que c'est plus facile de rattraper la forme par la suite. Personnellement, je ne pense pas retravailler cette nouvelle, sauf si je la réutilise pour une sorte de prologue. Mais je prends en compte tes remarque pour mes prochains écrits ;)

Merci de ton commentaire abouti et utile :)
 
Dernière édition par un modérateur:

DeletedUser

Guest
Well je rejoins Déca sur un seul petit point : à la première lecture j'ai moi aussi été perdu entre les deux personnages dans la scène de départ ! Après relecture je me suis dit que c'était bon, mais disons qu'il faut être très attentif pour ne pas se tromper :) !

Peut-être qques petites choses à modifier pour rendre ça un peu plus simple !
 

DeletedUser24505

Guest
Comme promis, et peut-être un petit peu plus tard que je ne l'avait initialement prévu, j'ajoute mon grain de sel !

Concernant l'écriture, j'aime globalement la manière avec laquelle tu écris. En effet, comme l'a dit Deca, il y a quelques petites choses à améliorer, pour que nous puissions pénétrer dans ton univers sans trébucher sur certaines phrases qui laissent parfois perplexes, ou ne sont pas parfaitement explicites dans le sens ou cela se voit que tu te cherches un petit peu ; comme l'a déjà signalé Deca, sur la nomination de tes deux personnages. A part cela, j'aime bien ton écriture. Je déplore peut-être un léger manque de détails sur certaines choses. Par exemple, sur l'ascension de Kenta pour rejoindre ce que je crois être et considérer comme le sommet de la montagne. Après, ce n'est peut-être qu'une question de goût, mais globalement, je trouve que tu as bien écrit.

Maintenant, concernant l'intrigue en elle-même, j'aime beaucoup. Le fait que tu traites le sujet de personnes ayant l'aptitude à maîtriser le feu, ça me plait. Le fait qu'ils soient eux-mêmes des "Phénix", j'aime aussi beaucoup l'idée, et je pense qu'il y a matière à creuser avec cette histoire-ci. Je n'ai pas lu tes autres récits, mais je crois que l'intrigue mérite de s'y pencher. Je crois savoir que tu as déjà beaucoup d'idée pour cette histoire qui est la tienne, et je m'en réjouis d'avance, car l'extrait que tu nous en a proposé nous fait saliver d'avance. Enfin voilà, je ne vois pas ajouter quoi d'autre, si ce n'est des encouragements pour que tu poursuives l'écriture de ce récit.

Bises Kissi,
Itachi.
 

DeletedUser162

Guest
C'est bien une question de goût. J'ai préféré être elliptique sur ce passage parce que m'attarder sur quelque chose qui ne sert pas vraiment l'histoire, ça me barbe.

J'essaierais de me remettre le plus rapidement possible au travail sur cette histoire.

Merci de ton commentaire :)

Other ?
 

DeletedUser162

Guest
M.à.j

Bonne lecture, retours critiques plus que tolérés ;)

Le Robot de bois


Les hommes suaient à grosses gouttes. Le déchargement de la dernière fournée de charbon de bois, la plus laborieuse, annonçait la fin de la journée. Il fallait ensuite profiter du crépuscule, entre lumière et obscurité, pour rentrer au village.

Les quatre travailleurs achevaient de ranger leurs pelles lorsqu’une silhouette se dessina à l’orée de la clairière. Personne ne l’aperçut immédiatement, masquée par le soleil rasant. Une série de claquements se fit alors entendre. Dans un sursaut commun, tous se retournèrent, peu habitués à recevoir de la visite, mais surtout inquiet de cet étrange bruit. Ils plissèrent les yeux, certains main en visière, afin d’identifier un nouveau venu qui ne se cachait pas.

Au premier abord, il s’agissait d’un homme, un peu petit, mais dans le genre trapu. Sauf que la vue s’affinant, les charbonniers devinaient des formes trop anguleuses, carrées, pour appartenir au genre humain. La démarche légèrement syncopée accroissait le malaise ambiant. La créature, faute de nom, s’arrêta à distance raisonnable avant de lever péniblement un bras, accompagné de ses cliquetis secs et rugueux, déjà caractéristiques à leurs oreilles.

Aucun charbonnier n’entama un quelconque geste, paralysé dans une façade d’intimidation. Ils pouvaient enfin détailler du regard leur étrange visiteur. Et ce n’était pas pour les rassurer. La chose, couverte de nombreux glyphes à chaque articulation ainsi que sur tout le front et la poitrine, reprit sa marche mécanique. L’écriture à même le corps rougeoyait de plus en plus fort, et le pas devenait plus saccadé encore.

La tension était à son paroxysme lorsque la machine – le mot s’imposait à l’esprit des ouvriers – tendit une pince vers un morceau de charbon. Ce simple geste dégrisa toutes les forces en présence, comme un électrochoc. On ne touche pas au fruit d’un dur labeur. Trois des travailleurs empoignèrent leurs pelles et se déchainèrent sur la créature qui se retrouva à terre, sur le monceau charbonneux.

Le benjamin de la troupe vit alors, sans comprendre, les inscriptions sur la tête et les pectoraux de la machine virer du rouge à un blanc vif. Des clapets se rétractèrent à différent endroits de son anatomie et émirent des sifflements à briser les tympans. Les trois hommes surplombant la créature s’effondrèrent, hérissés d’aiguilles fumantes. Seulement alors, le jeune homme ressenti une douleur intense dans la jambe et l’épaule gauche. Pour autant, dans un instinct de survie féroce, le dernier charbonnier passa outre et s’enfuit en clopinant vers le village.

¤¤¤​

Je brûle de l’intérieur. Pourquoi ne me donne-t-il pas de charbon pour me soulager ? Que les braises de mon cœur artificiel brûlent autre chose que ma carcasse de bois. Les coups métalliques ne me font pas mal, ma seule souffrance n’est que brûlure. Et pourtant, je sens la fureur du feu s’emparer de moi. J’expulse.

¤¤¤​

Le village était en proie à l’agitation. Le retour du jeune charbonnier n’était pas passé inaperçu. A son chevet, la guérisseuse et son assistant enlevèrent délicatement les aiguilles. Elle en observa une attentivement, perplexe, à l’aide de sa pince pendant que son apprenti pansait les plaies du blessé. Elle sentait encore un léger halo de chaleur autour de l’arme longue comme sa main et fine comme une tige de marguerite. Comment peut-on tuer avec un objet qui semble aussi frêle ? Elle tenta de le briser en deux, en vain. Ce n’était pourtant que du bois. L’acier casserait plus facilement.

- Quelque chose ne va pas, Kalia ? demanda le doyen.

La réponse en suspens prit tout son sens dans le silence. Personne dans la petite assistance n’osait prendre la parole devant tant de mystère. Si l’on pouvait palper l’atmosphère à pleines mains, les doigts aurait sentis dans cristaux givrés tant tout le monde retenait son souffle, dans une immobilité propre à l’hiver.

La glace ne fut brisée que par le cri au haro du bûcheron. Bien que certaines de ses préoccupations devait être bien terre à terre puisque cette attaque concernait une part de son gagne-pain, son appel trouva un écho parmi les plus excités du village. On est peut-être des culs-terreux, mais on a notre fierté, criaient-t-il pour se justifier. Ils ne savaient rien de leur ennemi et pourtant, les voilà prêt à partir à l’assaut, fourches, marteaux et autre armes hétéroclites en mains.

Alors que cette milice improvisée armée de bric et de broc s’éloignait déjà, le convalescent s’éveilla.

¤¤¤​

J’ouvre ma mandibule inférieure et écrase le charbon pour l’ingérer. Je n’étais plus que fureur et douleur. Quel soulagement de sentir la chaleur refluer uniquement dans mes appareillages vitaux. Je ne comprends toujours pas pourquoi ces humains n’ont pas voulu me laisser me servir si le charbon me fait tant de bien. Le maître m’en donnait toujours. J’ai cru un moment que ce combustible me serait nocif et qu’ils voulaient me prévenir. Ma carapace refroidit et virent au noir. Mon scintillement ne m’éclaire plus suffisamment, je décide de passer en mode veille.

¤¤¤​

En tête du cortège, la colère laissa place à un sentiment d’inquiétude diffus. La nuit tombée, des torches avaient été allumées. Une brise légère jouait avec les flammes, provoquant un étrange ballet d’ombres, entre courbes et pointes. Certains témoins des paroles du survivant avant son coma ressassaient la description de l’agresseur, d’une façon différente à chaque fois à cause du manque de détails. La chose n’était que fureur et sons, une silhouette indistincte et scintillante crachant des aiguilles brûlantes dans un sifflement assourdissant.

Le pas le plus lent possible, ils débouchèrent pourtant rapidement sur la carrière. Qu’elle ne fut pas leur surprise lorsqu’ils virent presque immédiatement à la lueur de leurs torches l’agresseur, debout, tête penchée vers l’avant, comme endormi. La troupe s’arrêta devant, formant un arc de cercle à une distance raisonnable. La créature ressemblait à un gros bout de bois calciné, craquelé et noircit de partout, avec une forme humanoïde.

- C’quoi cette chose ? dit un des membres de la troupe.

A ces simples mots, la chose s’éveilla. Ou plutôt, s’alluma. Des glyphes rougeoyants apparurent sur la tête et recouvrirent progressivement le reste du corps à partir de cet épicentre. La chose releva alors la tête d’un geste brusque et découvrit ses yeux de verre jusque-là cachés par des volets coulissants.

La foule rassemblée hérissa d’un même geste leurs bêches, fourches et gourdins de fortune en reculant inconsciemment d’un pas. L’homme de bois embrassa de son regard vide l’assemblée en pivotant de façon inhumaine son cou. Les hommes tressaillirent, ne sachant comment réagir à la situation.

Ce qui faisait office de bouche à la créature ce mit à clinquer à un débit rapide.

L’assemblée fit encore un pas en arrière. Certains apostrophèrent la créature. Uniquement pour faire bonne mesure.

¤¤¤​

Je ne comprends pas les humains. Je comprends leurs paroles, mais je ne comprends pas les sens qui se cachent derrière. « Qu’est-ce que je fais là ? » Pourquoi cette question anodine les met dans une posture d’auto-défense ? J’aimerais tant pouvoir communiquer avec eux. C’est étrange. Pour la première fois de ma vie, je souhaite quelque chose. Toujours j’attendais les ordres de mon maître. Mon maître, mon créateur, le seul à comprendre mon langage. Mon souhait ne serait jamais né sans mon émancipation. Je comprends enfin la phrase de mon mentor. « Va chercher la liberté. » Une douce sensation s’empare de ma poitrine. J’aimerais tant que les humains me comprennent. Mais je ne peux que communiquer par ces claquements. Alors je communique comme je le peux.

¤¤¤​

La tension monta d’un cran lorsque la lueur du glyphe le plus imposant, au niveau du cœur, redoubla d’intensité. Un frisson parcouru le rassemblement. Les piques étaient brandies, plus menaçantes que jamais. Mais la foule ne reculait plus. Un accord inconscient s’était emparé d’eux ; on ne recule plus, on est chez nous, on est ensemble.

Un membre de cette milice improvisée, conscient de cette nouvelle motivation, lança alors sa fourche dans un élan de bravoure et d’idiotie. Elle toucha sa cible. Seulement, cela se limita un coup dans l’eau, l’arme ricochant comme une simple pomme de pin sur le tronc d’un arbre.

Pourtant, la créature réagit mal. Tout du moins, les hommes rassemblés le supposait lorsque les symboles sur la poitrine de la créature virèrent dangereusement du cramoisi à un blanc éblouissant. Toute la volonté de la foule ne pouvait rien face à ce sentiment de peur intime et étouffant, tous reculèrent d’un pas supplémentaire. L’héroïque idiot sentit couler jusqu’à ses chausses un liquide chaud. Il recula de trois pas.

Le clapet-mandibule de la chose redoubla d’activité.

¤¤¤​

Pourquoi ? Le jet de l’objet ne m’a pas fait mal. Mon corps est tellement dur qu’il en est presque indestructible. Mon maître disant qu’il avait fait en sorte de fossiliser celui-ci grâce à une chaleur intense. L’idée lui-était venue en observant la nature. C’est ce qu’il me disait. D’ailleurs, mon maître aussi me lançait toutes sortes d’objets sur moi. Il me traitait d’expérience raté. Je ne m’en offusquais pas. A l’époque, je ne connaissais pas le concept de colère. Il était mon maître, j’étais son serviteur. Alors pourquoi ? Pourquoi aujourd’hui je ressens ce mal dans ma poitrine ? Je ne souffre pourtant pas. La seule douleur que je connais, c’est la brûlure. Frustration, colère, dépit. Aujourd’hui, j’appréhende ces concepts, ceux dont mon maître me parlait, mais que je ne comprenais pas. Je ne comprends toujours pas, mais je le sais désormais, je dois chercher par moi-même la réponse. « Moi-même », encore une idée saugrenue. Mon cœur souffre d’un mal nouveau, mais je ne brûle pas de l’intérieur. Je dois comprendre. Je dois me faire comprendre.

¤¤¤​

Le lourd silence de la foule avait laissé place à un brouhaha d’invectives assez folklorique. Un « tête de crapaud noir » résonna sans que personne n’en saisisse le sens. « Monstre carré » était la plus relayé, peut-être car il s’agissait de la plus significative. Mais ce tohu-bohu paradoxalement rendait l’air plus respirable. Tout le monde se libérait d’un poids à moindre risque, la créature ne semblant pas réagir à cette affreuse cacophonie. Le silence semblait bien plus dangereux.

Pourtant, ce dernier revint au galop. L’étrange créature de bois essayait tant bien que mal de se faire entendre, son simili de bouche agité d’une fureur inextinguible et de plus en plus forte. La rupture eu lieu quand sa mandibule rompit sous le coup de sa frustration. Les glyphes parcourant sa tête changèrent alors eux aussi de couleur, vers ce blanc que tous avec déjà catalogué ainsi : danger. La scène n’était plus qu’une peinture, forte de sens dans son image, sourde dans sa conception. La foule offrait le spectacle d’un hérisson, compact et piquant. La chose, elle, dévoilait ses petits clapets mécaniques, gueules affreuses d’où pouvait surgir à tout instant la mort.

La peur planait au-dessus de la carrière. Elle saisissait tous les protagonistes, humains, oiseaux et créatures.

Un cri déchira la toile de ce tableau en-dehors du temps. « Arrêtez ! »

La voix du jeune charbonnier résonna à l’orée de la carrière, faible, et pourtant si audible. Il se relevait laborieusement, un genou à terre. A côté de lui, la guérisseuse du village. Celle-ci avait porté le convalescent sur son dos jusqu’ici. La conviction de son patient vibrait encore entre ses oreilles lorsque celui-ci avait pris la parole après son réveil. Elle s’était alors transcendée pour l’amener sur les lieux du drame, bien aidée par son physique imposant de la matrone qui ne s’en laisse pas remontrer.

« Ne faites pas de folie » furent les seuls autres mots que daigna lancer le charbonnier à l’assemblée. Boitant, trainant la patte, le souffle rauque de la personne à l’article de la mort, il s’approcha par sa simple volonté auprès de la créature. Il leva alors la main. Impossible de toucher la créature tant la chaleur irradiait de sa carcasse mécanique.

- Tu chauffes, dit le jeune homme en esquissant un sourire.

Ce visage plein de sérénité apaisa son vis-à-vis. Ses clapets se refermèrent de façon sonore, et les symboles recouvrant son corps reprirent son irisation tranquille, expurgé de ce blanc où la peur suintait d’une manière viscérale.

Le charbonnier se tourna alors vers ses concitoyens, ses amis pour beaucoup. La même famille. Il leur adressa la parole.

- Allez chercher la lance à incendie près de la citerne, et ramenez la ici.

Personne ne réagit dans l’instant, un air de béatitude à gober les mouches.

- Faites-moi confiance, reprit le jeune homme. Il se retourna vers la créature et lui répéta. Fais-moi confiance.

Les plus lucides s’activèrent dans un concert de soulagement, comme s’ils avaient trouvé la solution. Pourtant, aucun ne comprenait les tenants et les aboutissants de leurs actes. Pas même le charbonnier. Un être de bois brûlait de l’intérieur. Il suffit de l’arroser.

Et c’est ce qu’ils firent. Ils connectèrent la pompe à la lance et l’actionnèrent assez difficile l’engin légèrement grippé par la rouille.

La créature accueillit ce jet salvateur stoïquement, inexpressive comme sa condition de machine le lui imposait. Durant un temps, l’inquiétude sourdait encore dans la poitrine de chacun, leur cœur jouant du tambourin à une vitesse folle. Tous restaient impassibles, excepté ceux qui s’évertuaient sur la pompe. Rien ne se passait.

Les minutes défilaient. Ou peut-être le secondes seulement. Le temps était suspendu, arrêté par le souffle de la foule. La nature elle aussi inspirait et expirait dans un même instant.

Un spectacle incroyable se passa alors sous les yeux de tous. Les glyphes de la créature perdirent s’atténuèrent jusqu’à s’éteindre. Ils furent alors recouverts par un ensemble de branches noueuses comme du lierre. Elles jaillissaient de la poitrine de la créature pour s’enrouler tout autour de son corps, dans un ballet de bourgeonnements.

La lance à incendie cracha une dernière goutte d’eau.

¤¤¤​

La sensation de l’eau est merveilleuse. J’aimerais tant que cela ne s’arrête jamais. J’avais déjà connu la pluie, mais la quantité n’était pas suffisante pour m’offrir ce sentiment de bien-être extatique. Je regrette déjà de voir les petits hommes stopper leur engin à eau. Petits hommes ? Je regarde mes pieds. Ils sont loin. J’ai beaucoup grandi. Je lèvre une jambe. Quelle incroyable mobilité ! Un rire s’échappe de ma gorge. Je suis vivant !
 
Haut