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Le monde, le vrai, a l'odeur d'un œuf pourri.
Une poigne forte pinçait mes tripes tandis que le feu blanc et invincible du soleil perçait la mince muraille de mes cils. Il s'amplifiait dans le prisme de ma sueur, qui s'écoulait depuis mon front jusqu'à la pointe de mon menton. J'étais moite, écrasé et mes nerfs saturés retenait mes pensées. Homme en souffrance, j'éprouvais pleinement mon animalité, je m'y réduisais. Mes mains tremblaient, sursautaient d'autres fois. Des spasmes de machine, des humeurs robotiques. Je ne cessais pourtant d'avancer. Je sentais le moindre gravier ou quartz sous ma plante et chacun d'eux me semblait mordre sans concession dans cette chair sensible.
Mais la fureur humaine lançait son irrésistible appel et refermait sur mon cœur son terrible étau. A l'horizon, déjà, s'élevaient les derricks et les buildings, s'épanouissaient les fleurs rouges du pétrole, s'entassaient les bidonvilles et les autoroutes, périclitaient les infrastructures et parmi elles la masse grouillante des hommes, vibrait aussi le tapis noir de la cité et grondaient ses moteurs*; et même pouvait-on voir, comme le noyau d'un fruit, l'étranger et l'origine, une vieille ville prolongée dans le ciel par une féroce cathédrale. La pollution laissait ses haillons brumeux courir dans les rues.
Une quatre voies vrombissait près de moi, propulsant à toute vitesse des myriades de véhicules hétéroclites. Pressés, ils rugissaient à toute puissance, fouettaient l'air, s'étiraient sous mon regard trouble. Les parfums modernes, ce pollen accrocheur chié par les automobiles, la musique contemporaine, ces couinements de pneus, ces coups de klaxon, ces hurlements de mécanique*; cet Art du présent, froid et misérable, d'acier et de caoutchouc, de bitume et d'électricité, chantait tout entier la colère, la vie et je m'y abîmais, tout de joie et de terreur. L'évidence de sa laideur ne tenait qu'aux sots entêtés. De cette longue rivière de lumière et de célérité, je ne pouvais plus lever l'ancre. Abasourdi, fasciné, je restais, l’œil fou, les jambes battantes, assis sur l'un des rails de sécurité, mais quelque part aussi, meurtri, brisé et peut être vidé.
L'oubli grandissait sous mon torse, mes bras fourmillaient d'une énergie nouvelle, j'étais ressuscité et si faible pourtant. J'avais fui, toute ma vie, le désastre de ma naissance et voilà ma mère, monstrueuse, qui me rejetait dans ses entrailles. Je sentais, vive, la brûlure, agiter mes sens, lacérer mon cerveau. Je devenais neuf à mesure que cette chute vers la mort me dépouillait et me déchirait. Le salut de mon existence, c'était l'évidence sourde de la mort.
Une philanthrope sans culotte me repéra, s'arrêta, – drôle de voiture rouge – plaisanta, m'accepta, ria, discuta, m'accueillit, m'exhiba à ses amis, m'hébergea et me baisa.
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