« Silence »
Après le départ, quelque peu mystérieux aux yeux du monde, de Némésis, le monde entra dans une première phase paisible et conviviale. Certains humains, tantôt curieux, tantôt audacieux, avaient développé des liens économiques et sociaux avec les Elfes et chacun commençait ainsi à en apprendre plus sur l'autre. Des secrets passèrent d'une race à l'autre : les Humains montrèrent comment manier le fer et le forger selon sa volonté tandis que, de leur côté, les Elfes avaient accès à la connaissance du monde et à la Magie. Les temps passèrent et ces relations amicales profitaient à tout le monde, ce qui écartait un quelconque risque de guerre.
Néanmoins, les Elfes gardaient jalousement une magie qui leur était propre, les arcanes ancestraux des Druides. Ils s'étaient contentés d'enseigner les maigres bases des soins et des sorts élémentaires à leurs confrères humains. Ils leur apprirent, entre autres, les fondements et le fonctionnement du monde. Ils leur apprirent l'existence du Fleuve de la Vie, source de tout pouvoir, qui coulait en chaque être vivant, reliant ainsi inexorablement tout le monde aux autres ainsi qu'à la Terre et à la Nature.
De leur côté, les Humains étaient aussi restés très rudimentaires dans leurs explications sur la fonte des minerais et autres applications potentielles de sorte que, au final, les Elfes ne puissent que se créer des armes blanches relativement légères telles des couteaux ou des dagues, dont ils devinrent finalement experts. Eux qui en savaient aussi davantage que les Elfes sur l'Histoire du monde, de même que son étendue, ils partagèrent de bon cœur les connaissances, n'ayant rien à y perdre.
Les choses commencèrent alors à se compliquer lorsque d'habiles humains formés dans les livres basiques de la magie humaine révolutionnèrent cette dernière en arrivant à de nouvelles formes de magies, bien plus poussées que les précédentes. Ils développèrent leurs soins, créant ainsi toute une société à part, celle des prêtres, ainsi qu'une autre forme de la magie : celle de la maitrise des éléments, réservée à une secte réduite et dominatrice. Ce retournement de situation fit que les humains prirent l'avantage sur les Elfes qui, bien que restant égaux, voir peut-être un peu supérieurs en magie étaient bien en deçà du niveau des humains sur la question des armes et armures. Un groupe, particulièrement extrémiste, procéda ainsi à la création d'une armée composée de nobles guerriers, dont le renom n'était plus à faire, et s'allièrent avec deux castes de magiciens, mages et prêtres, afin d'essayer de prendre une revanche décisive sur les elfes et, par extension, Némésis et la Nature eux-mêmes.
Alors, des conflits mineurs commencèrent à éclater. Bon nombre d'humains décidèrent de rompre leur commerce avec les elfes et une autre partie était devenue relativement distante. Rares étaient, au début, ceux qui continuaient leurs rapports pacifiques et amicaux avec ces êtres de la forêt, de plus en plus déconsidérés par leurs voisins. Dans un tel climat de tension et de rivalités, il ne fallut pas longtemps pour qu'un problème opposant un Elfe et un Humain prenne forme. De prime abord totalement inoffensif, cette dispute se changea en un conflit majeur menant à une forme de Guerre Froide. Chaque camp soutenant sa propre cause, les proportions devinrent du jour au lendemain gigantesques. Il n'était plus alors question de savoir qui, des deux protagonistes, avaient raison ou tort, mais plutôt de savoir qui, des deux camps, cèderait le premier et, par là, reconnaitrait son infériorité face à l'autre.
Les humains, bien que très nettement supérieurs aux elfes en nombre, se morcelèrent rapidement en trois camps regroupés autour d'un point de vue différent sur le conflit : un groupe décida de s'allier aux elfes et montèrent se réunir au nord, dans les rocheuses de l'Ethna. Un autre groupe, bien plus extrémiste, ne désirait rien de moins que raser définitivement toute trace des êtres de la forêt de cette planète. Aussi chauds que la braise, ils s'assemblèrent en nombre au sud, là où les elfes ne pouvaient trop s'aventurer à cause de la chaleur du désert. Le reste, la majorité humaine, trouva ce conflit si insane et vain qu'ils décidèrent de se placer, à tort ou à raison, au milieu du monde, jouant ainsi le rôle de plaque tournante ainsi que de “ tampon ” en cas de guerre. Les choses semblèrent se stabiliser.
Mais, cette situation étant loin de convenir aux humains installés dans les plaines ardentes du sud, ces derniers commencèrent à jouer de leurs relations sur la nation centriste et mitigée afin d'influer sur leur position et de tenter de les rejoindre à leur cause. À force d'acharnement et de pressions économiques (indirectes), certains commencèrent à prôner le parti extrémiste. Les elfes, sentant le danger arriver, se préparèrent à ce qui semblait être une guerre inéluctable avec l'aide de leurs alliés du nord. Le sud et les régions centrales du monde se mirent alors à décrier une telle attitude belliqueuse, accusant les premiers de tenter de les éradiquer par les armes. Cette déclaration n'était pas sitôt prononcée que Centre et Sud montaient, eux aussi, une large et puissante armée à la tête de laquelle se tenait l'armée personnelle du premier groupe extrémiste, cité plus haut.
Le monde tremblait à chaque pas que les deux armées faisaient en s'avançant l'une vers l'autre. Les ténèbres s'abattaient sur leur chemin et partout la vie semblait succomber à leur vue. Le bruit des milliers d'épées, le bruissement d'autant de capes sinon plus, les hymnes et chansons locales qui s'élevaient de-ci de-là, tout cela réunit témoignait de l'arrivée imminente du silence, un Silence encore plus grand que tous ces bruits, un silence profond et triste qui emplirait, une fois l'acte accompli, les plaines du désespoir où se serait tenue la bataille. Chaque homme tremblait, suait, respirait fort, s'attendait à l'inexorable. À l'aube du septième jour, les troupes se firent face d'un bout à l'autre de la plaine centrale. Nul ne pouvait ne serait-ce que donner un nombre approximatif des armées ennemies et, à vrai dire, le nombre devait peu leur importer. L'important, c'était qu'il n'en reste plus un seul...
Alors, mues par une impulsion soudaine, les deux armées s'avancèrent, d'abord en marchant puis en allant de plus en plus vite au fur et à mesure que les ennemis s'approchaient. On eût dit que l'imminence de leur mort leur donnait encore plus d'entrain et les faisait courir d'autant plus vite vers elle. L'impact fut terrifiant. Les épées, les lances, les boucliers s'entrechoquèrent. Les flèches volèrent pour atterrir mollement dans le cou des fantassins, alliés comme ennemis. Les sorts s'entrechoquaient, créant à l'occasion de vastes cratères et volatilisant ainsi des pans d'armées entières, les soins et bénédictions des prêtres s'alternaient continuellement en fonction de si le prêtre préférait protéger de futurs blessés ou soigner de futurs morts.
Les archers furent la raison suffisante de la perte de plusieurs milliers de fantassins, de chaque côté. Ces derniers avaient su en prélever autant, sinon plus, du champ de bataille, afin de les entasser par monceaux tels des offrandes faites à la mort. Partout où le regard pouvait se poser, des salves de sang giclaient. Quelque odeur que nous puissions sentir, pas une n'était pas essentiellement composée par la putréfaction des corps. Où que l'on voulût agiter nos bras, des corps venaient de partout offrir la résistance naturelle de la vie avant de s'effondrer dans l'immobilité la plus complète. Lorsqu'il n'y eut plus assez de corps à sacrifier au Bon Dieu, les deux armées prirent le temps de jeter un œil à la scène. Alors le bruit cessa d'un coup.
Tout le long de la plaine s'étalaient à perte de vue des corps et des membres, entassés, pliés, tranchés net, une flèche en pleine poitrine, une lance gisant sur le côté, une épée encore présente dans le crâne à demi-ouvert... Il n'était même plus possible de distinguer, dans cette immense barbarie mortuaire, les alliés des ennemis. La seule chose qu'il restait était ces morts tragiques. Alors, dans un dernier bruissement de ferraille, chacun jeta à terre ses armes et se résigna devant l'évidence de la situation : tout le monde avait perdu.